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de vouloir les donner comme naturelles , de quelque
manière qu’on parvienne à les former.
Cependant, Linné voulant apparemment donner
aux genres une confidération qui ne leur appartient
pas , a prononcé l’anathême contre ceux
qui affureroient que les genres ne font point dans
la nature. Il a fans doute trouvé plus de facilité
à étayer ainfi fon opinion par une décifion tranchante
, par de prétendus axiomes &des maximes
fort laconiques dont il a rempli fon Philofophia
& fon Critica Botanica , que par des preuves foli-
des qui feules peuvent convaincre ceux que l’autorité
n’entraîne point, preuves qu’il a toujours
oublié d’établir.
Linné , ainfi que bien d’autres , a cependant dit
dans fes ouvrages que la nature ne faifoit point
de fauts; ce qui fignifie, fi je ne me trompe ,
que la férié de fes produ&ions doit être nuancée
dans toute fon éterdue. Or, cette feule confidéraT
tion anéantit la poffibilité de trouver la totalité des
productions de la nature divifée par elle en quantité
de grouppes particuliers bien détachés les uns
des autres , tels que doivent être les genres ; car
les limites de .chacun dé ces grouppes feraient
précifément les fauts qu’on reconnoît que la nature
ne fait pas. Ce feroit la même chofe ou pis
encore , fi l’on atfribuoit aufii à la nature lès autres
fortes de divifions dont les méthodes 8c les
fyftêmes de Botanique offrent néceffairement (des
exemples.
On connoît, il eft vrai, un affez grand nombre
de genres nombreux en efpèces, & qui paroiffent
d’autant plus naturels , qu’on les voit tres-déta-
chés les uns des autres par des caractères qui leur
font propres -, mais le nombre des genres qui font
dans ce cas diminue tous les jours , parce que
les nouvelles plantes que l’on découvre continuellement
dans diverfes parties du globe , effacent
par leurs cara&ères mi-partis les limites tranchées
des genres dont il eft queftion ; & comme il eft
vraifemblable qu’il refte encore beaucoup de
plantes à découvrir, il- eft très-poflible que les
interruptions encore nombreufes que l’on remarque
dans les végétaux rangés félon l'ordre de
leurs rapports, s’évanouiffent fuccelfivement dans
leur totalité. •
En attribuant les genres â la nature, Linné fe
trouvoit excufablè dans l’arbitraire dont il s’eft
fou vent fervi en les établiffant, & dans les exceptions
nombreufes au cara&ère élfentiel, dont
un grand nombre de fes genres offrent des exemples.
Ce moyen enfin l’autorifoit à vouloir faire
adopter bien des affemblages peu convenables
qu’il a formés.
Relativement à l’arbitraire dont nous venons de
parler, nous* citerons feulement en exemple les
genres Genijla , Spartium & Cytifus qu’ il a établis.
Sous ces trois noms génériques , Linné a
expofé des caractères propres à chacun d’eux , &
enfuite il a rapporté très-arbitrairement à chacun
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de ces genres des eipèces qui tantôt n’ont pas le
caractère générique énoncé, & tantôt ont en
même temps celui de l’un des deux autres genres.
Ses Afpalathus, Borbonia, & fes Liparia qu’il
a eu foin d’écarter beaucoup des deux premiers
( comme il a fait à l’égard de fes Cytifus qu’il a
fort éloignés de fes Spartium ) , font dans le même
cas. Vicia 8c Ervum , Pifum & Lathyrus, AJlra-
galus & Phaca , Arabis & Turritis , Thlafpi 8c
Lepidium, Lychnis 8c AgroJl:ma , Mentha 8c
Satureia , Leontodon 8c Hieracium , Cunila 8c
Zi[iphora , Milium 8c Agroftis , Veronica & Pe-
derota, &c. &c. font des exemples de genres fans
détermination ou fans diftinâion précife : genres
auxquels on a rapporté arbitrairement des efpè-
ces , & qu’on admet affez généralement fuir l ’autorité
de Linné.
Si je vouloisconfidérer les Ombellifères, combien
je trouverois d’elpèces rapportées arbitrairement
( je ne dis point par erreur, mais je dis
arbitrairement & avec connoiffance de la chofe)
à des genres dont elles n’ont point le cara&ère
effentiel ! Combien de Tordylium font de véritables
Caucalis ƒ Combien d'Athamanta font peu
diftérens des Selinum ! Le genre entier Peuceda-
num n’eft diftingué des Selinum que par le nom
& l’habitude -, divers Ligujlicum font* des Ange-
lie a • le Phellandrium eft un (Enanthe ,* l’Ægo-
podium , ■ un Pimpinella , le Carum , un Ssfcli ,
divers Daucus font des Ammi, & c . &c. Un coup-
d’oeil femblable fur chacune des autres familles
pourroit nous mener fort loin -, ainfi paffons à des
confidérations d’un autre ordre.
Détermination des genres.
Le cara&ère naturel d’un genre, ce que nous
nommons par-tout dans cet Ouvrage caractère
générique, doit apurement porter fur la confidération
de la fleur 8c du fruit -, 8c il convient ,
pour l’exprimer , de préfenter dans un ordre méthodique
, comme Linné l’a fa it , l’expofition du
caraâère de chacune des fix parties fuivantes de
la fru&ification, qui font le calice , la corolle,
les étamines, le piftil, le péricarpe, & la femence,
pourvu qu’on n’entre point dans des détails trop
précis fur les proportions de grandeur & de forme
de ces fix parties , parce qu’elles fe trouvent très-
rarement les mêmes dans toutes les efpèces d’un
même genre.
Mais à ce cara&ère générique, il eft abfolument
néceffaire de joindre un caraâère diftin&if du
genre. O r , ce cara&ère diftinâif que Linné a
employé le premier dans fon Syflema natnroe, qui
fe trouve dans le Syfiema plantarum de Reichard ,
dans le Syjtcma vegetabilium de M. Murrai , 8c
que Linné fils a nommé cara&ère effentiel, doit
être fort abrégé , 8c ne porter que fur une ou
deux confidérations. De cette manière, il fera
comparable avec les cara&ères ’ diftin&ifs. des
autres
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autres genres, 8c tous les genres mieux détachés
•les uns des autres par ce moyen , feront mieux
connus, & fe fixeront plus ailèment dans la mé-
jnoîre. " .
Nous avons eu des raifons ( qui tiennent a des
réformes que nous nous croyons obligés deffaire^
par la fuite) pour ne pas çxpôier en titre de chaque
genre dans ce Diétionnaire, le cara&ère générique
diftin&if dont nous venons de parler ; caractère
que nous regardons comme le produit d’une
des idées les plus heùreufes que Linné a eues, 8c
qui contribuera beaucoup à la perfe&ion de la
Botanique. On en trouvera néanmoins l’équivalent
tantôt dans le petit avant-propos qui précède
l’expofition de chaque genre , 8c tantôt dans des
«bfervations qui fuivent cette même expofition :
mais dans notre Théâtre üniverfel de Botanique ,
où nous comptons traiter méthodiquement toutes
les parties de cette belle fcience, l’on verra que
nous faifor.s le plus grand cas du cara&ere diftin&
if du genre -, quoique nous ne fupprimerons
jamais le caraâère générique proprement dit ou
naturel, que nous croyons effentiel pour faire
connoître entièrement 8c généralement la fru&i-
iication de chaque genre de plantes.
Quant à ce qui concerne le choix des parties
propres à fournir les cara&ères diftïn&ifs des genres
, Linné prétend qu’on ne doit.jamais tirer ces
cara&ères que de la confidération de quelques-
unes des parties de la fru&ification. Nous, fommes
tout-à-fait de fon avis , s’il eft vrai que la chofe
foit toujours praticable ; mais dans les cas où elle
ne-le lèroit pas , nous né voyons pas bien clairement
l’inconvénient qui réfuïteroit de tirer des
diftin&ions génériques bien tranchées de quelques
■ parties du port, lorfque la férié dans laquelle on
aurait des divifions génériques à tracer , feroit
préalablement difpofée dans l’ordre des- rapports
lé plus naturel, 8c que lesTignès de féparation
que l’on etabliroit ne déplaceroient point les
plantes déjà rapprochées par la confidération de
leurs rapports.
Dans les familles qu’on regarde comme les plus
naturelles, & qui ne font que de grandes portions
non interrompues de la férié des végétaux , telles
que lés Labiées, les Crucifères , les Ombelli-
feres, les Légumir.eufes , Scc, on poXsède. de grandes
quantités d’efpèces qui ont toutes à,peu près
la même fru&ification. Or , établir parmi ces
grandes qnantités d’efpèces des divifions gçnéri-*
ques, en un mot, de6 lignes de féparation. dont
les cara&ères diftin&ifs feroient pris uniquement
.de la fru&ification , laquelle offre dans ces plantes
très-peu de différences à faifir -, c’eft s’êxpofer à
n’avoir pour cara&cre générique diftin&if, que.
des remarques mmutieufes, fouvent trompeùfes ,
& communément très - peu reco’nnoifîables. Fn
e ffet, quel cas peut-on faire des caraâères génériques
diftin&ifs des Lronurus 8c dés Stachys de
Linné, dans les Labiées -, de fes AlyJJuui ,, dans.
Botanique- Tome I I«
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les Crucifères ; de fes Sifon 8c de fon Ægoyo•-
dium, dans les Ombellifères; de fon C omar uni ^
dans les Rofacées ; de fes (Efchinomene , Indigo-
fera 8c Ebenus , dans les Légumineufes ; de fes
Prenanthes , dans les Chicoracées; de fes Cmcus ,
Atraâylis , &c. dans les Cynaroccphales ; de fes
Tragia 8c fes Acalypha , dans les Euphorbes; de
fes Valantin, dans les Rubiacées , Scc. 8c c . .
Pour fe tirer d’embarras dans la gène où le
mettoit fon principe de ne prendre conftamment
que dans les parties de la fru&ification fes caractères
génériques diftin&ifs ; principes q u i, dans
ce qu’on nomme familles très-naturelles , le for-
çoit à n’admettre pour cara&ères de fes genres ,
que la citation de particularités minutieufes ,
trompeùfes, 8c le plus fouvent fujettes à quantité
d’exceptions, Linné imagina d’établir un autre
principe affez fingulier ; favoir , que c ’eft le genre
qui cenftitué le cara&ère , 8c non pas le cara&ère
qui fait le genre. ( Scias charaaerem non conjn-
tuere genus , fed genus characterem. Philof. Bot.
p. 12.3. n°. 169. ) ' X ' . (
Il comptoit fans doute que, d’après fon autorité
, ce principe neferoit fournis à aucun examen :
il prévoyoit riiêmè qu’il le trouveroit des Auteurs
qui en feroient l’éloge comme d’une belle decouverte;
8c qu’en confëquence toutes les affociations
qu’il lui plaifoit de former , dévoient paflèr fans
exception pour l’ouvrage même de la nature.
Nous allons rapporter ici l ’addition imprimée a
la fin du premier volume de notre Flore Fran-
çoife ( p. 131. ) , & dans laquelle notre fentîment
fur les moyens de parvenir à établir des diftinc-
tions génériques convenables 8c bien tranchées,
fe trouve exprimé d’une manière affez claire.
« Quand je dis qu’il ne faut pas avoir égard
aux rapports des plantes dans la formation des
genres , q u i, félon moi, ne peuvent être qu’artificiels
; je ne prétends pas pour cela donner comme
genres des affortimens bizarres, où la loi des
rapports naturels fe trouveroit entièrement violée ;
je .veux dire feulement que les cara&ères à l’aide
defquels on tracera les limites qui déterminent
les genres , ne doivent être gênés par aucune des
conlidcrations qui entrent dans la formation d’un
rapprochement de.reports, c’eft-à-dire. d’un ordre,
naturel. Mais. bien, loin que les efpèces qui com-
poferont un même genre fbient difparates , le
cara&ère artificiel; qui les unira , fera choin de
manière. à leur conferyer les unes à ,l’égard des
autres , le rang même; qu’elles occuperont dans
la férié naturelle des plantes.
Ainfi, apres avoir formé cette férié d’après î es
principes qui feront expofés dans la dernière partie
de cè di(cours, il .faudra tirer de diftance en
diftance de? limites artificielles, qui détacheront
; autant de petits grouppes ,. dont les plantes feront
lices4a l’aide d un carta& èrefimple , ou de deux
cara&ères', combinés , que l’on obtiendra d’une
ou deux parties quelconques, 8c non pas exclus
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