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de poterie gisent sur le sol, presque dans chaque
ruine de maison, j ’aperçus aussi un gros
bloc plat de granité ophitone, qu’on y a apporté
pour y établir sans doute uri foyer. Autour des
habitations, chaque petit coin de terre avait été
changé en jardin dont les anciens enclos sont
encore visibles. Une source traversait le chaos.
Ces scènes extraordinaires, ces grands bouleversements
dans la nature, frappent même le
plus simple, qui, dans son ignorance, cherche à
s’expliquer le puissant phénomène par une cause
quelconque. Quand il n’en trouve pas de visible,
il en cherche une extraordinaire ; il appelle à son
secours les diables et les anges, et tout s’explique.
C’est-ainsi que les habitants de Biouk et de
Koutchouk-Lambat, témoins du désordre du
chaos, dont ils ne savaient s’expliquer les raisons
, ont su inventer une légende qui satisfait
leur intelligence.
Un puissant seigneur, Désentels, possédait
tout le terrain qui s’étend d’Aloucheta à l’Aïou-
dagh. Il l’avait conquis parla force de son bras.
Son fils voulut couronner son oeuvre en bâtissant
un puissant château sur un grand rocher
qui s’élevait entre Koutchouk-Lambat et Kara-
bagh. Pour l’élever, il força ses sujets à travailler
plus qu’ils ne le devaient par leurs corvées.
Le château prêt, afin de l’inaugurer dignement
, il invite un moine de l’Aïoudagh à venir
consacrer son oeuvre inique. Celui-ci refuse de
bénir un ouvrage élevé par des moyens illégitimes.
Le seigneur irrité prie alors les invités
qui devaient assister à la cérémonie, à se réjouir
avec lui, sans s’inquiéter du moine têtu, dont il
promet bien de se venger dans l’occasion.. Mais
pendant la nuit, un violent tremblement de
terre ébranle les entrailles mêmes du rocher ;
le rocher se brise, s’écroule en mille fragments
et ensevelit sous ses énormes ruines le puissant
seigneur, ses amis et son château; tout disparaît
dans cette mémorable catastrophe.
Plus on remonte, plus les blocs gagnent en
hauteur, et il faut escalader la pyramide informe
de Tsaliakope , élevée de plus de 200
pieds, pour jouir du plus sauvage et du plus
sévère paysage qu’on puisse se représenter
(1).
La limite du chaos est très-nette; il s’appuie
sur deux protubérances de grès, qui sortent au-
dessus du chaos. Mais ce n’est pas ce que cherche
mon oeil inquiet : il se porte vers l’amphithéâtre
des hautes montagnes pour voir s’il ne
devinera point les causes d’une pareille catastrophe.
Je les soupçonne de loin, et je brûle
d’aller confirmer mes suppositions par de nou-
(1) Atlas, Ve série, coupes et plans, pl. 23. Eludes du
terrain erratique du Karabagh.