faisant brèche dans une muraille qui s’écroulait-
et le brave homme ne ménageait pas ses forces •
il frappait au risque de crever son tambour,
pour exciter l’admiration de ses auditeurs, qui
étaient tout oreilles.
On me demandait si je trouvais cela joli ; que
répondre a une question aussi insidieuse? Je
leur disais qu’ou i, et je les enchantais de cette
louange que d’autres auraient trouvée suspecte,
en me voyant dans ce petit trou bas, froid, où
j ’étais serré par vingt Tatares, qui me forçaient
a écouter gravement ce tonnerre et ces coups
de canons, au milieu d’un nuage bleu produit
par une dizaine de calumets sans cesse allumés.
Pour comble d’honneur, on voulut faire
exécuter pour mon arrivée un morceau choisi
où je pourrais juger de toute l’adresse des musiciens
: en effet, j ’avoue que le tambour était
un artiste merveilleux dans son genre, tant il
mettait d’adresse à exécuter ses roulades sur le
tour de son instrument; enfin il alla jouer
ailleurs, prodiguant ses talents pour amuser les
jeunes gens et le cercle des femmes.
Pendant ce temps, vers les sept heures et
demie, on servit la première collation. On retourna
le tabouret ; on posa dessus un grand
plateau de cuivre etame, charge de morceaux
de graisse de mouton taillés en forme de cara-
melles, et de cinq à six espèces de pâtisseries,
des feuilletés, des pâtes découpées en rosace ,
en carré, en figures très-variées ; les femmes y
avaient mis tout leur art. On servit aussi un
ragoût de volaille; on mangea du miel avec des
galettes si compactes, si tenaces, si mal cuites,
que je vis quelques Tatares faire la mine, et être
forcés comme moi de les abandonner.
La collation faite, le premier des moullahs
(il n’y en avait pas moins de quatre et j ’étais
entre deux d’entre eux) fit la prière d’usage, en
tendant les mains comme s’il voulait qu’on lui
versât de l’eau dessus ; puis il les passa sur son
front et sur sa barbe, ce que tout le monde fit
avec lui. Puis la musique pour dessert.
La collation n’était que l’avant-coureur du
souper, qui devait se donner à minuit, selon
l’usage, et pendant les quatre longues heures
d’attente , la politesse ne me permit pas de
quitter le coin que j’occupais dans cette grave
assemblée, qui ne se mouvait qué pour changer
de point d’appui, se balançant tantôt sur une
jambe repliée, tantôt sur l’autre. J’en ai vu plusieurs
qui ne prononcèrent pas quatre paroles
pendant ce longs laps de temps, et dont l’unique
occupation était de se bourrer pipe sur pipe, de
les fumer, et de taper sur le tabouret pour les
vider.
La conversation était à peine animée et ces
airs grandioses, ces barbes blanches, cette im—