un morceau de pain pendant qu’on court sur la
steppe chercher des chevaux.
Ils étaient excellents et j ’arrivai bientôt à
Dauteli, grand village avec des sources d’eau
douce et deux grandes mosquées, dont l’une
était décorée d’un minaret. Leur élégance contrastait
avec la pauvreté des metchets des villages
que je venais de traverser, où je ne vis que de
misérables huttes sombres, avec un feutre pour
tapis au milieu, rien de plus : elles ne sont ni
blanchies, ni meme grossièrement plâtrées ; un
vestibule dont le toit est emporté ou dont la
muraille est à moitié renversée, n’en augmente
pas l’apparence.
Nouvelle halte ; il était quatre heures du soir
et je n’avais encore fait que 21 | verst. Cette
fois—ci 1 ombachi me donna un povoska, espèce
de chariot russe, et je croyais aller tout droit à
Arghin ; mais, pour mon malheur, il y avait
encore un village nommé Sedjéout sur ma
route : mon guide, pour aucun prix, ne voulut
aller plus loin; il me remit comme on remets
trait un ballot de marchandises, à l’ombachi du
nouveau village, et partit sans vouloir de paiement.
La nuit s’approchait ; je suppliai donc l’om-r
bachi de m’expédier le plus vite possible, pour
Arghin. Pour toute réponse il me montra le
ciel et me déclara qu’il était impossible d’aller
plus loin. — Boyar (1), restez chez nous , me
dit-il. — Chez vous? mais je n’ai rien à manger !
— Qu’à cela ne tienne; nous avons à boire et à
manger à foison : nous vous traiterons splendidement;
vous aurez un bon hôte et un bon l i t ,
et demain, au premier cri du coq, nous vous
donnerons une bonne voiture qui vous mènera
tout droit à Arghin. D’ailleurs c’est bairam
(fête) chez nous , et aujourd’hui personne ne
voudra vous y conduire : c’est impossible.
Contre de telles raisons, il n’y a rien à dire, et
je suivis en soupirant l’ombachi qui me fit entrer
dans la maison d’un des premiers habitants du
village; un longvieillard, avec des traits antiques
qui contrastaient avep les traits de la racenogaïe,
à laquelle on voyait bien qu’il n’appartenait pas.
Etendu autour d’un feu de fumier-tourbe, je
pensais à la longue soirée que j ’allais passer en
bâillant, quand l’ombachi vint me reprendre
pour me prier de passer chez l’un des richards
du village chez lequel se célébrait la fête, dont
je n’ai pu savoir le motif; car les registres des
fêtes tatares n’indiquent rien de pareil aux
environs du 6 novembre. Ce jour-là personne
n’avait osé rien manger avant le coucher du
soleil.