d’un domaine qui remplace le village détruit,
on avait vu arriver à l’approche de la nuit deux
vieillards qui demandèrent l’hospitalité. Dès
l’aube du jo u r , on les vit se traîner avec empressement
vers les tas de pierres et les fourrés
d’arbres, devenus sauvages, qui ont succédé aux
maisons et aux jardins, et ce fut une scène attendrissante
que celle ou chacun d’eux put montrer
à l’autre la pierre du foyer ou l’angle du mur
d’une demeure qu’ils avaient quittée depuis cinquante
ans et qu’ils n’avaient pu oublier. Avant
de mourir, ils avaient voulu revoir les lieux
de leur naissance, et ils emportèrent tous deux
quelques rejetons de leurs anciens jardins pour
les replanter dans les nouveaux.
On rejoint la grande route a peu de distance
de Yénisala : elle suit d’abord le thalveg du frais
vallon de l'Angar, qui paraît une profonde déchirure
ménagée dans les poudingues rouges au
pied du Tchatyrdagh. Une place ombragée,
qu’on appelle Tavchan-bazar (le marché des
lièvres), sert de repos aux voitures qui se préparent
à passer la montagne ; jusque-là la route
n’a présenté aucune difficulté; mais la montée
qu’on a devant soi est rude ; nos ingénieurs européens
n’eussent pas commis la faute qu’on peut
reprocher à M. le colonel Chipilof ; ils auraient
pris de beaucoup plus loin la montée , et auraient
ménagé considérablement les pentes.
Le schiste se montre au fond de la vallée de
l’Angar surmonté de poudingue rouge qui prête
un aspect unique au paysage. Les extrémités du
Kisilkaïa et du Siméonkaïa, qui dominent la
route, sont couronnées de deux îlots de calcaire
jurassique, dont les fragments encombrent le lit
de l’Angar ; là où leurs masses obstruent pour
ainsi dire le passage, se trouve l’une des murailles
dites Démirkapou (portes de fer) qui garantissait
la Crimée méridionale des invasions
du nord.
Avec la route, qui est ici bordée de Belladona,
le schiste noir monte; les poudingues rouges
s’écartent et s’asseyent sur le col schisteux pour
former une série d’accidents topographiques qui
intéressent la géologie. Mais avant de m’en occuper,
j ’ai la source du Salghir à visiter et le
Tchatyrdagh à escalàder.
J’ai déjà appelé l’attention sur la possibilité
d’une grande commotion et de grandes altérations
dans les roches du vallon de l’Angar et du
pied du Tchatyrdagh, à une époque donnée, voisine
des tertiaires récents. Nulle part, il est vrai,
je n’ai vu de traces d’un agent igné : mais ses
effets sont si visibles qu’on ne peut les nier. Car
comment s’expliquer la nature rouge de ces poudingues
et de ces marbres fissurés et remplis de
filons de terre rouge, qui n'est que locale et se
trouve substituée aux oolithes naturelles de Té