dans les stanitses, de crainte d’être enlevés inopinément
par les partis ennemis.
Or il se faisait tard ; on nous avait néanmoins
donné à Kalaus une escorte qui nous accompagna
jusqu’au premier poste, où elle nous quitta, nous
remettant aux soins du nouveau chef. On se préparait
précisément à la retraite, et quand nous
demandâmes le convoi d’usage, on nous le refusa
; c’est trop tard, nous répondit-on ; revenez
avec nous, car nous ne vous escorterons pas.
Qu’on juge de notre désappointement. M. de
Stéven néanmoins fit partir la voiture, croyant
que les Cosaques se décideraient a nous suivre
généreusement, mais ce fut inutilement, nous
étions décidément abandonnés à notre fortune.
Notre anxiété allait croissant, et nos regards
attentifs cherchaient à deviner ce qui se passait
derrière les lugubres roseaux qui bordaient la
route; mais nous ne vîmes rien, dans ce triste
demi-jour, que leurs hautes parois entr’ouvertes
par les sentiers desTcherkesses;et M. de Stéven
qui connaissait le danger , croyait voir l’ennemi
fondre sur nous à chaque instant.
Enfin, après une heure d’une marche inquiète
dans le marais, nous arrivâmes aux confins
d’une terre protectrice, et nous criâmes : « Dieu
<« soit béni, nous sommes sauvés. »
Sur ce sol amphibie, l’abondance des cousins
ou mosquites est presque incroyable ; nous ne
savions comment nous en défendre. Nos postillons
avaient, à cet usage , une queue de vache
dont ils se balayaient sans cesse le visage, faisant
entrer ce mouvement dans celui du fouet qu’ils
tenaient de la même main (1).
En traversant le bas-fond marécageux de
Karakoubanskaïa à Kourki, nous avions franchi
toute la distance qui séparait les anciennes rives
du golfe du Kouban de la Polynésie dispersée
au-devant. Je ne puis entrer ici dans les détails
que je réserve pour la partie géologique, où
j ’expose l’histoire diluviale et antédiluviale de ce
coin de terre ; il suffira de résumer les faits. J’y
prouve :
1° Qu’à la fin des dépôts jurassiques, de formidables
éruptions de roches porphyriques ,
principalement de granité ophitique et proto-
gyne, ont soulevé la chaîne Taurique et le
Caucase, qui, pendant l’époque de la craie, ont
formé deux longues îles étroites.
2° La fin de Xépoque crayeuse vit soulever les
chaînes d Ahhaltsikhé et des Karpathes, avec
une partie des flancs du Caucase. Pendant 1 époque
tertiaire, la Mer Noire et la mer Caspienne
communiquaient par un long et large bras de
( i ) Quoique voyageant à la même époque què M. E. D.
Clarke, nous n’eûmes pas à supporter des tourments pareils
à ceux qu’il décrit, t. I , p. 5 14.