L’ombachi me fit passer par deux portes si
basses, qu’elles n’avaient que 4 pieds de haut,
et je me trouvai dans le salon du noble tatare.
C’est encore l’Orient en Europe. Tout le tour
de la chambre, qui n’avait pas i 5 pieds de long
sur autant de large, était meublé d’un divan
bas, couvert de tapis de fabrique tatare. Le
milieu de l’aire, en glaise battue, était recouvert
d’un grand feutre gris, sur lequel paraissait un
petit tabouret bien bas qu’éclairait une chandelle.
En face de la porte, l’hôte en pelisse de drap
brun, bordée de chien jaune, accroupi à la façon
turque, caressait une petite barbe peu épaisse
et me salua, de concert avec toute la société,
d’un Jcôche-keldime (soyez le bien venu), en me
désignant une place à côté de lui.
Une dizaine de Tatares en pelisse de mouton,
le bonnet d’agneau noir sur la tête, s’étaient
déjà rassemblés, et à chaque instant il
arrivait de nouvelles recrues. Debout vers la
porte, chacun, droit comme un piquet, portant
la main fermée sur le coe u r , prononçait le
kôche-keldime d’usage, auquel toute l’assemblée
répondait par un Allah raz olsoune (Dieu vous
vous le rende), fortement accentué.
Quelques Tatares, peut-être des étrangers,
remplissaient une autre cérémonie. Commençant
par les plus vénérables qui leur tendaient
la main droite, ils la tenaient entre leurs deux
m ains ouvertes et la portaient a leur front,
faisant ainsi le tour de l’assemblée. D’autres
fois, ils s’en tenaient aux plus anciens*
Quand un moullah ou un hadji (pèlerin de la
Mecque) entrait, chacun se levait et c’était à qui
lùi prendrait la main pour la porter à son front :
les places d’honneur leur étaient réservées.
Les plus jeunes se contentaient de faire leur
salutation, et se reliraient dans une chambre
voisine, où ils .osaient donner essor à leurs jeux
et à leurs folies*
Bientôt aussi arriva la musique. La musique
à Sedjéout ! Bon Dieu, quel tintamarre : mes
oreilles en frémissent encore de terreur : cependant
l’orchesle n’était composé que d’une espèce
de flageolet ayant l’air d’une clarinette et le son
aigu d’une digne musette, et d’un énorme tambour
de basque. Il n’y a que des oreilles tatares
et bohémiennes capables de jouir d’une pareille
harmonie. Le tambour était célèbre comme
artiste dans tout le canton, par l’adresse qu’il
mettait à manier son instrument.
Suivant l’air du flageolet, il ralentissait ou
hâtait la mesure : tantôt c’était le pas lourd et
long d’un chameau, tantôt le trot d’un cheval; ou
bien l’on croyait entendre le feu de file d’un régiment,
entremêlé de gros coups de l’artillerie;
enfin c’était aussi une batterie de pièces de 4$