Je n’ose dire ce que je ressentis en voyant
ces beaux Ouvrages des Génois si ruinés et bien
à tort. Le gouverneur russe de Théodosie ,
hanshave (Fensch), fit enlever le revêtement des
remparts et des fossés pour en construire de
mauvaises casernes. Les suites inévitables de
cette imprudence se firent bientôt sentir ; ces
magnifiques fossés servaient autant à l’écoulement
des eaux de pluie et des torrents qui descendent
momentanément des montagnes rapides
et nues qui entourent la ville, qu’à la défense de
la ville : en les démolissant, on les a comblés
sur plusieurs points, et pas plus loin qu’en i 834,
l’on a vu les eaux de pluie des montagnes, pénétrant
par-dessus les fossés dans la ville, en
ravager les maisons, les jardins, et y causer,
dans l’espace de quelques heures, un dommage
de plus de 3oo,ooo francs.
Toutes les tours qui longeaient le rempart
sont ruinées ; celle dite du Pape Clément présente
encore trois pans de ses murailles ; elle
était placée à l’angle le plus important et le plus
élevé des remparts vers le nord, faisant face aux
montagnes d’où l’artillerie peut, avec le plus de
facilité, foudroyer la ville.
Cette tour est un souvenir de la grande croisade
prêchée en *345 par Clément VI, pour
venir au secours de Kafa, menacée par Djanibek
et les Tatares du Kaptchak : les secours qu’on
porta aux Génois leur permirent d’augmenter
leurs fortifications, et ils firent placer en signe
de reconnaissance au haut de la tour, une inscription
en l’honneur du pape. Descendue du
faîte où elle était inintelligible aux yeux des plus
exercés , elle fut déposée au pied de la tour et
transportée de là au musée de Théodosie, où elle
excite la sagacité des voyageurs. J’en ai donné
un dessin fidèle dans la vue de Théodosie que
j ’ai prise du pied de celte tour, et où tout
voyageur qui visite ces ruinés, vient jouir de
la belle vue d’ensemble qu’on a sur la ville et
sur la baie (1).
Au milieu de ce vaste tableau s’élève Y ancienne
citadelle génoise, aujourd’hui démantelée;
ses murailles abandonnées menacent ruine de
toutes parts. En avant de la citadelle un bâtiment,
reconnaissable à ses deux hauts contreforts,
mais sans aucun luxe extérieur, fut autrefois
la principale église arménienne, que des
émigrés de cette nation vinrent construire soils
la protection des Génois peu après le terrible
tremblement dè lërre de i 3ig , qui détruisit Ani
- (ï ) Cette inscription, écrite en lettres gothiques du
quatorzième siècle, est presque incompréhensible tant sa
rédaction latine est pleine de fautes et de solécismes. Du
temps de Waxel, elle était encore enchâssée dans là tour.
Voy. 11° série, pl. 43.