cet argent-là dût jamais, comme ils l’avaient
si judicieusement pensé d’abord, venir à maturité.
La marche, depuis les sources, avait duré
quatorze heures. Enfin, harassés de fatigue, nous
arrivâmes au N il, qui a repris son cours nord
et sud, et étale de nouveau toute sa splendeur.
Ici il fait un coude de quatre lieues dans l’est.
Gomme les autres, en m’y désaltérant, je lui
adressai mes hommages. En un clin d’oeil la
rive fut couverte de soldats ; tous voulaient
boire de l’eau du fleuve, ou s’y plonger ; les
Arabes y entraient tout habillés. On eût dit que
l’armée retrouvait là une nouvelle existence :
c’est à ce fleuve, en effet, que semble attachée
la vie de tout ce qui végète ou respire dans
ces contrées ; l’Égyptien qui s’éloigne de ses
ondes créatrices paraît avoir perdu la plus
essentielle des parties vitales qui l’animent.
Le lieu où campait l’armée se nomme el-
Baqeyr : il appartient à la province de Robatât.
Les terres cultivées qui bordent le fleuve ne
s’étendent qu’à environ cent pas, et elles sont
ombragées par des doums et des acacias.
Le 28 février, au matin, Ismâyl pacha arriva
avec deux cents hommes : le reste de l’armée
et l’artillerie étaient au désert. Le 1." mars, un
courrier venant de Barbar apporta la nouvelle
que deux mille Chaykyés, s’étant réunis aux
troupes de Chendy, marchaient sur Barbar.
Divan Effendy s’y trouvait avec quelques troupes
d’Abâbdehs, et pouvait être sacrifié. Nous n’étions
qua deux jours de Barbar ; mais le pacha
ne voulut plus avancer sans son artillerie. H
donna des ordres pour que l’armée se tînt sur la
défensive : des cartouches me furent délivrées
pour moi et ma suite, comme aux militaires;
de voyageurs nous devînmes soldats. La nuit
vint, et le pacha reconnut qu’il avait commis
une imprudence en laissant derrière lui les
canons, dont on n’avait point de nouvelles. C’est
le manque de transports qui l’avait contraint à
diviser ainsi son armée, la voie du Nil lui ayant
été interdite par la cataracte. Les chameaux qui
avaient conduit le bagage des troupes d’A’bdin
bey retournèrent pour chercher ceux du pacha.
Enfin le 2 mars, dans la matinée , un coup
de canon annonça l’arrivée de l’artillerie. A
l’instant, les préparatifs du départ furent ordonnés.
Les deux jours que nous passâmes ici me
permirent de faire, avec M. Letorzec, quelques