il prit fantaisie à Ibrahym d’envoyer ses mam-
louks à la chasse de l’éléphant. Guidés par
les naturels du pays, ils rencontrèrent sans
peine deux de ces animaux paisibles : avant de
tirer, ils s’approchèrent de très-près, afin que
la balle pût percer là peau, et firent feu tous à-
la-fois. Les éléphans, légèrement atteints, mais
épouvantés, devinrent furieux, et blessèrent
cinq mamïouks, dont deux mortellement; ils
en saisirent deux autres avec leur trompe , et les
lancèrent par-dessus les arbres ; ceux-là , on
désespérait de pouvoir les sauver. Ces animaux
achevèrent de passer leur rage en mettant en
pièces les arbres qui les environnaient.
J ’allai avec M. Ricci chez Ibrahym : j’y trouvai
son frère Ismâyl. Ibrahym était travaillé d’un
flux de sang: la crainte, non moins que le mal,
l’avait singulièrement abattu. Eloigné de plus de
six cents lieues de la capitale; privé des
secours et des soins que son état exigeait ;
repassant dans son esprit le sort de son premier
médecin et de tant d’autres qui avaient succombé
sous ses yeux : exposé aux influences pernicieuses
d’une chaleur de plus de 40 degrés , il
sentait son courage l’abandonner ; et certes on ne
pouvait le taxer de trop de faiblesse. II dit à son
frère que, s’il ne se trouvait pas mieux sous
quelques jours, il partirait pour retourner en
Egypte. Quant à moi, il me pria de vouloir
bien, dans l’intérêt de son père, visiter avec
attention toutes les localités où j’aurais quelque
espérance de trouver de l’or. Ainsi s’évanouissait,
je dus le prévoir dès ce moment, notre beau
plan de voyage au fleuve Blanc et dans l’intérieur
de l’Afrique ! Le soir je revins à ma tente avec le
prince Ismâyl. II m’obligeait chaque jour d’aller
dîner avec lui; jamais il n’avait eu pour moi
autant de prévenances que depuis notre départ
de Sennâr. Mais je crus pénétrer un des motifs
secrets de ces démonstrations affectueuses. J ’étais
le seul étranger qui l’eût accompagné dans cette
dernière campagne ; seul je pouvais écrire et
faire connaître en Europe ses exploits : je m’étais
aperçu qu’il tenait à cette gloire plus que ne le
font ordinairement les Turcs. L’exploitation
des mines, ou plutôt des sables aurifères dont
nous approchions , y entrait pour beaucoup
aussi.
Dans la journée, arrivèrent des envoyés du
méiik du Fâzoql, pour annoncer que ce roi
était prêt à se soumettre au vaillant Ismâyl. II
ne restait donc plus à combattre que les païens
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