est fait; le fruit de tant de peines et de périls
va devenir la proie des flammes !.. On nous crie
de nous sauver; je ne puis me résigner encore
à faire un si pénible sacrifice! Mais déjà la
chaleur nous brûle la figure ; nous sentons les
atteintes du feu; il faut nous éloigner: ma
douleur est au comble; je pousse un cri de désespoir!
Cependant notre chameau se sentant
brûler, se lève, s’élance, court hors du feu et
retombe à quelque distance. Nous nous précipitons
sur lui; nous arrachons enfin sa charge, et
la plaçons sur mon cheval, que je tire par k bride
et que M. Letorzec frappe par derrière : nous
avançons ; mais le vent chasse les flammes de
notre côté; elles vont nous atteindre encore : nous
sommes glacés de terreur et d’effroi !...> notre
position est horrible !... Enfin, ô bonheur ineffable!
les arbres s’éclaircissent devant nous;
nous sortons du bois nous sommes sauvés!
Épuisés de lassitude, respirant à peine, nous
nous couchons par terre pour reprendre nos
sens ; nous tournons la tête involontairement vers
le lieu où nous venions de courir de si grands
dangers.... Nouveau sujet d’alarmes! nous n’apercevons
plus personne. Où sont les troupes?
l’embrasement les a -t-il contraintes à prendre
une autre direction? Nous demeurions anéantis,
M. Letorzec et moi , sans oser nous communiquer
les sinistres pensées qui nous obsédaient ,
lorsque la vue de plusieurs soldats qui débouchaient
de ce lieu maudit, vint faire renaître le
calme dans nos coeurs.
J ’obtins, à force d’argent, de faire placer sur
un de leurs chameaux la charge de. mon cheval,
qui ne pouvait plus se soutenir : ils nous donnèrent
un peu d’eau qui répara nos forces, et,
à peine remis des cruelles émotions que nous
venions d’éproüver, nous continuâmes notre
route à pied avec eux.
À-peu-près à une lieue de là, nous arrivâmes,
vers six heures, sur un coteau très-élevé, couronné
de quelques habitations nommées Ab-
qoulgui, dans la province de Qamâmyl : les
troupes y avaient déjà établi leur camp. Nous
avions ce*jour-là marché dix heures, mais sans
faire beaucoup de chemin : nos provisions
et nos bagages étaient restés en arrière, avec
mes domestiques ; ce fut encore pour nous un
nouveau sujet d’inquiétude. Quelques Turcs
nous donnèrent un peu de pâte de dourah ;
nous étions trop fatigués pour aller souper chez
le prince Ismâyl, qui d’ailleurs semblait ne plus
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