Le pacha composa un détachement d’infanterie
pour faire une excursion dans le voisinage.
Comme il avait beaucoup de confiance dans
l’activité, l’humeur fanfaronne et le naturel féroce
de son soi-disant médecin, il lui assigna le
commandement d’une compagnie. Le pacha,
devant lui-même se mettre à la tête de cette
expédition, me fit proposer de l’accompagner:
je crus pouvoir m’en dispenser en prétextant
que mon dromadaire était harassé de fatigue ;
mais il leva la difficulté en m envoyant un
cheval. II avait fait un capitaine de son médecin;
j’avais lieu de prévoir qu’il me destinait le même
grade : et certes c’était me faire infiniment trop
d’honneur; je me sentais fort peu disposé à répandre
le sang de quelques misérables nègres.
Cependant il n’y avait plus moyen de reculer.
Armé de pied en cap, j’enfourchai mon bucé-
phale : j’avais tout l’extérieur d’un vaillant
cavalier, pistolets, sabre, fusil, giberne et cartouches;
il ne me manquait qu’un peu d’ardeur
belliqueuse: sans cela, qui sait jusqu’où la fortune
m’aurait poussé dans la carrière des armes!
On entra dans une petite vallée renfermée
entre deux chaînes de hautes collines dominées
par une grosse montagne au sommet de laquelle
on se proposait d’atteindre, dans l’espoir de
surprendre les nègres sur le revers opposé. H
fallait se frayer un passage parmi les acacias
et les nebkaâ, dont les branches hérissées d’épines
mettaient nos vêtemens en lambeaux ; on
conduisait avec des peines infinies deux petites
pièces de canon portées par des chameaux.
Le pacha m’avait bien recommandé, pour ma
propre sûreté, de me tenir toujours près de
lui : cette attention bienveillante de sa part
faillit me devenir funeste. Après deux heures
de marche v on était parvenu aux deux tiers de
la montagne qui était le but de notre expédition ;
on cheminait par un sentier âpre et rabotïfux,
longeant à droite le bord d'un précipice ; à
gauche s’élevait à pic le sommet de la montagne:
une partie des troupes était en avant ; le pacha
les suivait, ayant derrière lui un de ses esclaves
qui portait son arguillet; je venais immédiatement
ensuite, et si près de l’esclave, que la
tête de mon cheval touchait la sienne ; les mam-
louks marchaient après moi : le peu de largeur
du sentier ne permettait de défiler qu’un à un.
Tout-à-coup un quartier de roche de trois pieds
de diamètre , roulant à l’improviste entre Ismâyl
et moi , emporte dans le précipice l’esclave
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