l’armée : à l’exemple des soldats, nous nous
couchâmes pêle-mêle sur la dure. On dort bien
par-tout, quand on est fatigué.
Le soir, à chaque halte, A’bdin bey envoyait
une personne pour s’informer de nos besoins
et de notre santé. Sans que je demandasse
rien, il nous faisait porter diverses provisions de
bouche. S’il nous rencontrait sur la route, il
nous abordait et causait publiquement avec
nous. Aussi, malgré le dédain que les soldats
musulmans affectent pour les chrétiens, ceux
d’A’bdin bey, témoins des égards qu’avait pour
nous ce chef qu’ils chérissaient, nous regardaient
d’un fort bon oeil.
L’armée devait se pourvoir d’eau dans des
outres, car nous allions prendre le désert : je
m’étonnais que le Nil, qui coulait au nord-est,-
dût prolonger son cours dans cette direction,
puisque, pour abréger la route, nous allions le
quitter. Les guides nous dirent qu’en suivant le
Nil, il y avait douze journées de là à Barbar, et
qu’en coupant par le désert, le trajet ne serait
que de cinq jours. Je conçus alors que d’Anville
avait donné, sur cette déviation du fleuve, des
renseignemens plus exacts que ceux de Bruce,
et je tirai un favorable augure pour la réalité de
la position que le géographe français assigne à
Méroé.
Le 24, pour éviter la chaleur, on ne partit
qu’à trois heures un quart du soir. Ismayl, avec
une partie des troupes, devait rester en arrière,
«fin que le concours d’un trop grand nombre
d’hommes ne fît point manquer Feau des puits.
Nous nous dirigeâmes à i’est-sud-est par une
belle vallée où croissent beaucoup de palmiers
doums et quelques acacias. Le granit constitue
toujours la base du sol : il y en a de gris à grains
fins, d’autre rose avec de très-petites lames de
feld-spath. Cette vallée est appelée Ouâdy-el-
Argou ou Argoul. Dès que la nuit fut arrivée,
on alluma des feux de distance en distance pour
éclairer la marche. A sept heures, on fit halte :
tant qu’elle dura , les troupes s’amusèrent à
mettre le feu aux doums; la route, dans une
étendue en longueur d’un quart de lieue, présentait
le tableau d’un vaste incendie. Nous
n’avions pu encore goûter un instant de repos,
lorsque le battement du petit tambour donna le
signal du départ. La lune vint suppléer aux feux
qu’on avait allumés jusqu’alors. Au bout de
quatre heures de marche, les hauteurs qui dominent
la vallée s’apïanissent : on découvre dans
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