VOYAGE À MÉROÉ,
faire jour. Le choc de nos rames et le bouillonnement
_ des eaux que notre barque déplaçait,
jetaient 1 alarme et une terreur inconnue parmi
les habitans du fleuve ; les crocodiles, qui depuis
si long-temps déposaient en paix leurs oeufs
sur ses bords solitaires, rentraient précipitamment
dans son sein ; les hippopotames, agités et
inquiets, nageaient en troupes autour dé nous,
et, par leurs mugissemens, semblaient nous reprocher
d être venus troubler le calme de leurs
demeures. Les perruches, les pintades^ les ibis,
ét nombre d’oiseaux remarquables par leur
parure variée, faisaient entendre leurs cris as-
sourdissans ; les singes, gesticulant et gambadant
sur les arbres , les • hyènes, les onagres , les
gfrafles, les éléphans, et divers autres quadrupèdes,
se montraient à droite et à gauche du
fleuve. Mais l’explosion de la poudre,, dont le
bruit frappait pour la première fois leurs oreilles ,
les faisait fuir, pleins depouvante, dans les retraites
impénétrables que la nature leur a ménagées.
Enfin, le spectacle qui se développait ici
était entièrement nouveau pour nous : le fleuve
chariait des bambous , de l’ébène, du gaïac et
d’autres bois précieux; j’y voyais des coquillages
d espèces inconnues : ses bords étaient couverts
de p la n te s d ’arbres, d’insectes et autres productions
qui avaient jusqu’alors échappé aux
investigations des naturalistes. De quel coté
l’observateur tournera-t-il ici ses regards ? tout
l’attire, tout l’intéresse ; la nature a Semé sous
ses pas avec profusion- des richesses encore
vierges : le climat, le sol, les habitans, lés végétaux
, dans cette contrée , ont une physionomie
distinctive.
Le 14. et le 15 juin, nous ne fîmes guère
plus de chemin que les journées précédentes ;
beaucoup de jeunes saules végétaient sur les
deux rives, principalement sur la droite. J e
trouvai six petits crocodiles vivàns ; ils n’avaient
qu’un pied de long , et ils cherchaient déjà à
mordre ; je les mis dans un vase plein d’eau. La
barque passa la nuit près d’eï-Qreyqreyb, petit
village situé au côté gauche du fleuve.
Le lendemain 16, je vis le Dender, qui, comme
le Rahad, vient du sud-est. Cette rivière semble
couler parallèlement entre le Rahad et le fleuve
Bleu, dans lequel se jettent ses eaux. Un peu
au-dessus, en face et à l’est d’el-Qreyqreyb, est
le village d’el-Koueh au nord de son embouchure,
et celui d’eï-Makasseyr au sud. Je remontai
cette rivière jusqu’à un quart de lieue