beaucoup inquiéte pour le sort de ses compagnons
d armes : il n’avait point songé sans une
vive soliicitude aux maladies multipliées et
terrible* qu elle attribue à J’influence du climat.,
et à cette' mouche redoutable dont elle fait
mention, et qui ne nous était pas encore connue.
Cetait dans son jardin, sur le bord du fleuve,
et à l’ombre d’un berceau de citronniers , que se
tenait notre conversation ; la beauté du iieu contribuait
encore à bercer notre imagination d’idées
riantes; il nous semblait n’avoir désormais rien
à craindre d’un climat si injustement caiomnié ;
et nous repaissant des plusflatteusses illusions,
nous parlions déjà de la campagne prochaine
pour les provinces du sud.
Le pacha fit appeler quelques anciens du
pays; il les questionna devant moi sur le passage
de Bruce : je lui citais des aventures arrivées
à ce voyageur qui étaient certainement de nature
à s être conservées dans la mémoire de ces gens
depuis cinquante-trois ans; aucun n’avoua en
avoir eu connaissance. Je supposai que c’était
la crainte qui les portait à dissimuler *; car ils
* Je suis néanmoins porté à croire que Bruce était homme à
tirer amplement parti des moindres intrigues et des aventures Qui
pouvaient lui arriver. Je n’hésite pas à regarder comme arrangées
eurent l’air de ne pas se souvenir davantage d’un
événement tragique trop important, et dont
l’époque n’était pas assez reculée pour qu’il ne
s’en fût conservé aucune tradition dans le pays ;
on en jugera par le récit que je vais en faire.
M. Je Noir du Roule fut envoyé par Louis
XIV, en 1703, auprès de l’empereur des Abyssins.
II avait avec lui plusieurs aumôniers, médecins
et savans, qui, pour la plupart, effrayés
des difficultés d’une telle entreprise, le quittèrent
même avant son départ du Caire pour l’Ethiopie.
Ayant réuni d’autres personnes, êt accom-
gagné de M. Lippi, médecin et botaniste instruit,
M. du Roule partit du Caire le 19 juillet 1704.
On conçoit les obstacles sans nombre que cette
expédition flut rencontrer, à une époque déjà
assez éloignée de notre temps : la superstition,
si puissante encore sur l’esprit de ces peuples
grossiers, n’était pas le moins redoutable alors ;
on en jugera par l’extrait suivant d’une lettre
à plaisir la plupart des, circonstances qu’il raconte touchant une
prétendue reine de Chendy , nommée Citine , dont la chronologie
des princes de ce pays ne parle pas : suivant cette chronologie ,
qui y est Téputée exacte , depuis plus de deux cent trente ans le
trône de Chendy n’a pas été occupé par des femmes. Quoi qu’il en
soit, je me suis souvent entretenu avec Nimir, et de Bruce , et de
sa princesse Citine. Le récit de ces aventures l’amusait beaucoup.