En satisfaisant à leur curiosité, ils ne se doutaient
point qu’ils offraient à la mienne un aliment
que je ne négligeais pas de mettre à profit.
Ces grands rassemblemens d’individus de tout
âge et des deux sexes me permettaient d’observer
la constitution physique de ces hommes
peu connus, de prendre une idée, superficielle
il est vrai, de leurs moeurs, et de recueillir
quelques données sur la population relative de
ces régions.
J ’ai cru remarquer que les caractères extérieurs
de la jeunesse y sont de longue durée
chez les personnes du sexe féminin : leur gorge
sur-tout ne paraît point éprouver les outrages
du temps aussi vite que dans nos climats ; celle
même des femmes avancées en âge ne laisse
apercevoir aucune apparence de flaccidité..On
serait porté à conjecturer que ce fut au Sennâr
que les sculpteurs de l’Egypte ancienne allèrent
chercher le type de ces mamelles droites et
alongées qu’ils donnaient à leurs, figures de
femmes ; car c’est la forme la plus générale de
celles que les Sennâriennes ne prennent pas Je
moindre soin de dérober aux yeux. Parmi les
hommes, j’en remarquai un de vingt ans environ,
qui avait ces deux éminences?de la poitrine
extrêmement saillantes : s’étant aperçu que je le
considérais avec surprise, il en parut déconcerté,
et s empressa de me dire qu’il se proposait de
faire retrancher ces excroissances contraires aux
lois de la 'nature. J eus peine à croire d’abord
qu’il parlât sérieusement : mais on m’apprit ensuite
qu’en effet tout homme du pays qui avait
le malheur detre affligé d’une pareille difformité,
aimait mieux se soumettre à une amputation douloureuse
et souvent funeste, que de se montrer
avec des attributs si étrangers à son sexe. L’état
de nudité presque complète dans lequel les
indigènes de ces contrées ont coutume de paraître,
ne leur permet pas de soustraire à la vue
les bizarres anomalies auxquelles l’espèce humaine
est sujette là' comme ailleurs.
Le désir d’arriver promptement à Sennâr,
nous engagea à remettre à la voile dans la n u it,
pour profiter du vent, qui s’était montré momentanément
favorable ; mais à trois heures du
matin, il fallut s’arrêter de nouveau au sud de
Mounâ, grand village bâti sur la rive gauche
du fleuve. Là sont les traces d’un ancien canal,
qui semble avoir été destiné à porter les eaux
dans l’intérieur. Les habitans me dirent qu’ils
allaient au Dender dans une demi-journée de
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