me demandant pourquoi le pacha ne savait employer
d’autres châtimens que le kazouk [le
supplice du palij. Je demeurai interdit à cette
question, dont je ne devinais point I’à-propos;
mais ses amis l’appelèrent e t il entra avec eux.
M. Letorzec, mon interprète, et mes domestiques,
réveillés aussi par le bruit, étaient sur
pied. Les Chaykyés se mirent à boire du méryse,
liqueur qui leur échauffe la tête et les porte parfois
à des excès. Sur ces entrefaites, un esclave
me donna la clef de l’interpellation saugrenue qui
m’avait été adressée; il m’apprit que les corps de
cinq habitans du lieu étaient en ce moment près
de notre gîte, exposés sur l’instrument de leur
supplice : c’étaient des malfaiteurs qui détroussaient
et massacraient les passans, et qui venaient
d’ètre empalés par ordre du pacha. Cette exécution,
quelque effroyable qu’elle fût , devint peut-
être pour nous une sauve-gardç > et contribua à
inspirer à nos hôtes de la circonspection. Nous
fîmes du feu , examinâmes si nos armes étaient
en bon état , et nous tînmes sur nos gardes le
reste de, la nuit. Avant que le jour parût, nos
cinq Chaykyés s étaient empressés de regagner
le désert. Le 9, on me dit que l’armée était tout
près : je résolus de m’y rendre pour voir le prince
et A’bdin bey ; je comptais être de retour le soir.
II fut convenu que M. Letorzec changerait de
logis, et irait s’installer dans un plus grand village.
Au point du jour, nous montâmes, mon
interprète et moi, sur nos dromadaires, et le
premier spectacle qui s’offrit à notre vue fut celui
des cinq malheureux dont on nous avait raconté
le supplice. A gauche de notre route, s’élevaient
quelques montagnes en grès et isolées.
A une lieue de là , le désert s’avance jusqu’au
Nil ; de nombreuses masses de rochers en forment
la lisière ; leurs matières constituantes
composent un granit à gros grains blancs et roses,
chargé de grandes parcelles de mica blanc nacré :
quelques-unes de ces roches avaient envahi le lit
du fleuve et l’obstruaient en partie ; c’était l’indice
précurseur d’une cataracte.il nous fallait décrire
de nombreuses sinuosités à travers les crêtes
graniteuses qui nous barraient le passage. Bientôt
nous aperçûmes des barques du pacha. Cependant
j avais été trompé : la distance qui nous
séparait de l’armée était beaucoup plus grande
quon ne me lavait dit. Celle-ci campait sur la
rive gauche du fleuve : nous le traversâmes, et
nous mîmes pied à terre à Guerf el-Hâmdâb,
après cinq heures de marche.