de neigès éternelles. Les plateaux de l ’ÀsSuay et de l’Antisana, dont la constitution
géologique offre des rapports si frappans, sont cependant éloignés de
plus de cinquante lieuès les uns des autres : ils renferment des lacs d’eau douce
d’une grande profondeur, et bordés d’un gazon touffu de graminées alpines,
mais dont aucun poisson et presque aucun insecte aquatiqjie ne vivifie la
solitude.
Le Llano del Pullal (c’est le nom que l’on donne aux hautes plaines de
l ’Assuay ) a un sol excessivement marécageux. Nous avons été surpris d y
trouver, et a des hauteurs qui surpassent de beaucoup Celle de la cime du pic
de Ténériffe, les restes magnifiques d’un chemin construit par les Incas du
Pérou. Cette chaussée, bordée de grandes pierres de taille, peut être comparée
aux plus belles routes des Romains que j’aie vues en Italie, en France et en
Espagne : elle est parfaitement allignée, et conserve la même direction à six ou
huit mille mètres de longueur. Nous en avons observé la continuation près de
Caxamarca, à cent vingt lieues au sud de l’Assuay, et l’on croit, dans le pays,
qu’elle conduisoit jusqu’à la ville du Cuzco. Près de ce chemin de 1 Assuay, a
la hauteur absolue de quatre mille quarante-deux mètres (deux mille soixante-
quatorze toises), se trouvent les ruines du palais de l ’Inca Tupayüpangi, dont
les masures, appelées vulgairement los paredoneSj, n’ont que peu d élévation.
En descendant du Paramo de l’Assuay vers le sud, on découvre; entre les
fermes de Turche et de Burgay, un autre monument de l'ancienne architecture
péruvienne, connu sous le nom ülngapilca, ou de la forteresse du Canar.
Cette forteresse, si l’on peut nommer ainsi une colline terminée par une platte-
forme, est bien moins remarquable par sa grandeur que par sa parfaite conservation.
Un mur construit de grosses pierres de taille s’élève a la hauteur de
cinq à six mètres; il forme un ovale très-régulier, dont le grand axe a près
de trente-huit mètres de longueur : l’intérieur de cet ovale est1 un terre-plein
couvert d’une belle végétation, qui augmente l’effet pittoresque du paysage.
Au centre de l’enceinte s’élève une maison qui ne renferme que deux appar-
temens, et qui a près de sept nàètres de hauteur : cette maison et 1 enceinte
représentées sur la seizième Planche appartiennent a un système de murs
et de fortifications dont nous parlerons plus bas, et qui ont plus de cent
cinquante mètres de long. La coupe des pierres, la disposition des portes et-des
niches, l’analogie parfaite qui règne entre cet édifice et ceux du Cuzcô,
ne laissent aucun doute sur l ’origine de ce monument militaire _, qui servoit
au logement des Ineas lorsque ces princes passoient de temps en temps du
Pérou au royaume de Quito; Les fondations d’un grand nombre d’édifices que
Bon trouve autour de l’enceinte, annoncent qu’il y avoit jadis au Canar assez
de place pour loger le petit corps d’armée dont les Incas étaient généralement
suivis dans leurs voyages. C’est dans ces fondations que j ’ai trouvé une pierre
taillée avec beaucoup d’art, et représentée sur le devant du tableau à gauche:
je n’ai pu deviner l’usage de cette coupe particulière.
Ce qui frappe le plus dans ce petit monument, entouré de quelques
troncs de schinus molle, c’est la forme de son toit, qui lui donne une
ressemblance parfaite avec les maisons européennes. Un des premiers histo
riens de l ’Amérique, Pedro de Cieça de Léon, qui commença à décrire
ses voyages en i 54i , parle en détail de plusieurs maisons de l’Inca, dans
la province de los Canares. Il dit expressément1 «que les édifices !dë
« Thomebamba ont une couverture de joncs si bien faite, que si le feu ne
« la consume pas, elle peut se conserver, sans altération, pendant dès
« siècles. » D après cette observation, on doit être porté à croire que le
pignon de la . maison de Canar a été ajouté après la conquête : ce qui
semble surtout favoriser cette hypothèse, c’est l’existence des fenêtres ouvertes
pratiquées dans cette partie du bâtiment; car il est certain que dans les
édifices d’antienne fabrique péruvienne on ne trouve jamais de fenêtres
non plus que dans les restes des maisons de Pompeia et d’Herculanum.
M. de La Condamine, dans un mémoire très-intéressant sur quelques anciens
monumens du Pérou*, incline aussi à croire que le pignon que l ’on observe
sur le petit monument du Canar, n’est pas du temps des Incas. Il dit « qu’il
« est peut-être de fabrique moderne, et qu’il n’est pas de pierre de taille
« comme le reste des murs, mais d’une espèce de briques séchées à l’air
« et pétries de paille.» Le même savant ajoute, dans un autre endroit, que
1 usage de ces briques, auxquelles les Indiens donnent le nom de tica, était
connu aux Péruviens long-temps avant l ’arrivée des Espagnols, et que par
cette raison le haut du pignon pourroit être de construction ancienne, quoique
formé de briques.
1 Pedro de Cieça db Lboh, Chronica delPeru (Anvers, i 5 54) , Tom. I , C. xltv, p. îao.
a Mémoires de l’académie de Berlin, 1746, p. 444-