roi ne distingue pas les gémissemens de sa fille expirante : on met un encensoir
dans sa main; et quelques momens après on lui ordonne d’allumer le. copal.
A la pâle lueur de la flamme qui s’élève, il reconnoît son enfant attaché à
un poteau, la poitrine ensanglanté®, sans mouvement et sans.vie :1e désespoir
le prive de l’usage de ses sens pour le reste de ses jours ; il ne peut se venger,
et les Colhuës n’osent pas’se mesurer avec un peuple qui se fait craindre par
de tels excès de barbarie. La fille immolée est placée parmi les divinités aztèques,
sous le nom de Teteionan * , mère des dieux, ou Tocitzin, notre grand mère,
déesse qu’il né faut pas confondre avec Eve , nu la femme au serpent j
appelée Tonantzin.
Dans l’ancien continent, partout où nous trouvons les traces de sacrifices
humains, leur origine se perd dans la nuit des temps. L’histoire des Mexicains,
au contraire, nous a conservé le récit des événemens qui ont donné un caractère
féroce et sanguinaire au culte d’un peuple chez lequel on n offroit,
primitivement à la divinité que des animaux ou les prémices des fruits. J ai
cru devoir rapporter ces traditions, qui ont sans doute un fond de vérité
historique : liées intimement à l ’étude des moeurs et du développement moral
de notre espèce, elles-me paroissent plus intéressantes que les contes puérils
des Hindoux sur les nombreuses incarnations de leurs divinités. Je ne déciderai
cependant pas. là question si le sacrifice des quatre Xochimilques a été effectivement
le premier qu’on ait offert au dieu Mexitli, ou si les Aztèques n avaient
pas conservé quelque ancienne tradition, d’après* laquelle ils imaginoient que
le dieu de la guerre se plaisoit au sang'des victimes humaines. Mexitli étoit
venu au monde un dard dans la main droite, un bouclier dans la maire gauche,
et la tête couverte d’un casque orné de plumes vertes : en naissant, sa
première action avoit été de tuer ses soeurs et ses frères. Peut-être sous d autres
climats avoit-on déjà rendu un culte sanguinaire à ce dieu terrible, appelé
aussi Tetzahuitl, ou 1 épouvante-, peut-être ce culte n’avoit-il été interrompu
que parce quë l ’on manquoit de prisonniers, et par conséquent de victimes*
pendant que la nation, marchant sous les auspices de Mexitli , avançoit paisiblement
des montagnes de la Tarahumara au plateau central du Mexique.
Les guerres continuelles des Aztèques, depuis qu’ils s'étoient fixés sur les
îlots du lac salé de Tezcuco, leur fournissoient un si grand nombre de victimes,
*: Clavigbro, T om .I , p. 166, 168, 172; Tom. H , p. 32.
que des sacrifices humains furent offerts sans exception à toutes leurs divinités,
même à Quetzalcoatl*, qui, comme le Bouddha des Hindoux, avoit prêché contre
cette exécrable coutume, et à la déesse des moissons, la Gérés mexicaine,
appèlée Genteotl ou Tonacajohua, celle qui nourrit les hommes. Les Totonaques,
qui avoient adopté toute la mythologie toltèque et aztèque, distinguoient,
comme de race différente, les divinités qui exigent un culte sanguinaire, et
la déesse des champs, qui ne demande que des offrandes de fleurs et de
fruits, des gerbes de maïs ou des oiseaux qui se nourrissent des grains de
cette plante utile aux hommes. Une prophétie ancienne faisoit espérer, à ce
peuple une réforme bienfaisante dans les cérémonies religieuses: cette prophétie
portoit que Cénteotl, qui est identique avec la belle Chri ou Lakchmi des
Hindoux, et que les Aztèques, de même que les Arcadiens, désignoient
sous le nom de la Grande Déesse 3 ou Déesse primitive ( Tzinteotl ) ,
triompheroit à la fin de la férocité des autres dieux, et que les sacrifices
humains feraient place aux offrandes inriocentes des prémices des moissons.
On croit reconnoître, dans . cette tradition des Totohaqüës, une lutte entre
deux religions, un conflit entre l’ancienne divinité toltèque, douce et humaine
comme le peuple qui en avoit introduit le culte, et 'les. dieux féroces de
cette horde guerrière, les Aztèques, qui ensanglantèrent les champs * les
temples et les autels.
En lisant les lettres de Cortez à l’empereur Charles-Quint, les mémoires
de Bernai Diaz, de Motolinia et d’autres auteurs espagnols qui ont observé
les Mexicains. avant les changemens qu’ils ont éprouvés par leurs communications
avec l ’Europe, on est étonné qu’une férocité extrême dans les
cérémonies religieuses puisse se trouver chez un peuple dont l ’état .social
et politique rappelle, sous d’autres rapports, la civilisation des Chinois et des
Japonois. Les Aztèques ne se contentoient pas de teindre de sang leurs idoles,
comme font encore les Chamans tartares, qui cependant ne sacrifient aux
Nogats que des boeufs et des moutons, ils dévoraient même une partie du
cadavre que les prêtres jetoient au bas de l’escalier du téocalli après en avoir
arraché le coeur. On ne peut s’occuper de ces objets sans se demander
si ces coutumes barbares, que l’on retrouve aussi dans les îles de la mer du
Sud, chez des peuples dont la douceur des moeurs nous a été trop, vantée,
* Gomara, Ghronica général de las Indias (édition de i 553) , Tom. I I , fol. i 34-
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