Les ouvrages les plus grossiers, les formes les plus bizarres, ces masses
de rochers sculptés, qui n’imposent que par leur grandeur et par la haute
antiquité qu’on leur attribue, les pyramides énormes qui annoncent le concours
d’une multitude d’ouvriers; tout se lie à l’étude philosophique de l ’histoire.
C’est par ce même lien que les foibles restes de l’art, ou plutôt de
l’industrie des peuples du Nouveau Continent, sont dignes de notre attention.
Persuadé de cette vérité, j’ai réuni, pendant mes voyages, tout ce qu’une
active curiosité a pu me faire découvrir dans des pays où, pendant des siècles
de barbarie, l ’intolérance a détruit presque tout ce qui tenoit aux moeurs
et au culte des anciens habitans ; où l’on a démoli des édifices pour en arracher
des pierres ou pour y chercher des trésors cachés.
Le rapprochement que je me propose dé faire entre les ouvrages de l’art
du Mexique et du Pérou, et ceux de l’Ancien Monde, répandra quelque
intérêt sur mes recherches et sur l’Atlas pittoresque qui en contient les résultats.
Éloigné de tout esprit de système, j ’indiquerai les analogies qui se présentent
naturellement, en distinguant celles qui paraissent prouver une identité de
race, de celles qui ne tiennent probablement qu’à des causes intérieures, à
cette ressemblance qu’offrent tous les peuples dans le développement de leurs
facultés intellectuelles. Je dois me borner ici à une description succincte des
objets représentés dans les gravures. Les conséquences auxquelles paraît
conduire l’ensemble de ces monumens, ne peuvent être discutées que dans
la relation du voyage. Les peuples auxquels on attribue ces édifices et ces
sculptures existant encore, leur physionomie et la connoissance de leurs
moeurs serviront à éclaircir, l’histoire de leurs migrations.
Les recherches sur les monumens élevés par des nations à demi-barbares,
ont encore un autre intérêt qu’on pourrait nommer psycologique : elles offrent
à nos yeux le tableau de la marche uniforme et progressive de l ’esprit humain.
Les ouvrages des premiers habitans du Mexique tiennent lé milieu entre ceux
des peuples scythes et les monumens antiques de l’Indostan. Quel spectacle
imposant nous offre le génie de l’homme, parcourant l ’espace qü’il y a depuis
les tombeaux de Tinian et les statues de l’île de Pâques, jusqu’aux monumens
du temple mexicain de Milta; et depuis les idoles informes que renfermoit
ce temple, jusqu’aux chefs-d’oeuvres du ciseau de Praxitèle et de Lysippe!
Ne nous étonnons pas de la grossièreté du style et de l’incorrection des
contours dans lés ouvrages des peuples de l’Amérique. Séparés peut-être de
bonne heure du reste du genre humain, errans dans un pays où l’homme
a dû lutter long-temps contre une nature sauvage et toujours agitée, ces
peuples, livrés à eux-mêmes, n’ont pu se développer qu’avec lenteur. L’est
de l’Asie, l’occident et le nord de l’Europe, nous offrent les mêmes phénomènes.
En les indiquant, je n’entreprendrai pas de prononcer sur les causes
secrètes par lesquelles le germe, des beaux-arts ne s’est développé que sur
une très-petite partie du globe. Combien de nations de l’Ancien Continent ont
vécu sous un climat analogue à celui de la Grèce, entourées de tout ce qui
peut émouvoir l ’imagination, sans s’élever au sentiment de la beauté des
formes, sentiment qui n’a présidé aux arts que là où ils ont été fécondés par
le génie des Grecs!
Ces considérations suffisent pour marquer le but que je me suis proposé
en publiant ces fragmens de monumens américains. Leur étude peut devenir
utile comme celle des langues les plus imparfaites, qui intéressent non-
seulement par leur analogie avec des langues connues, mais encore par la
relation intime qui existe entre leur structure et le degré d’intelligence de
l’homme plus ou moins éloigné de la civilisation.
En présentant dans un même ouvrage les monumens grossiers des peuples
indigènes de l’Amérique et les vues pittoresques du pays montueux que ces
peuples ont habité, je crois réunir des objets dont les rapports n’ont pas
échappé à la sagacité de ceux qui se livrent à l’étude philosophique de l’esprit
humain. Quoique les moeurs des nations, le développement de leurs facultés
intellectuelles, le caractère particulier empreint dans leurs ouvrages, dépendent
à la fois d’un grand nombre de causes qui ne sont pas purement locales, on
ne saurait douter que le climat, la configuration du sol, la physionomie des
végétaux, l’aspect d’une nature riante ou sauvage, n’influent sur le progrès
des arts et sur le style qui distingue leurs productions. Cette influence est
d’autant plus sensible que l ’homme est plus éloigné de la civilisation. Quel
contraste entre l’architecture d’un peuple qui a habité de vastes et ténébreuses
cavernes, et celle de ces hordes long-temps nomades, dont les monumens
hardis rappellent, dans le fut des colonnes, les troncs élancés des palmiers du
désert! Pour bien connoître l’origine des arts, il faut étudier la nature du site
qui les a vus naître. Les seuls peuples américains chez lesquels nous trouvons