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2,5'2 V U E S D ES C O R D IL L È R E S , '
des petits groupes de cinq, de dix ou de vingt, ces systèmes de numération
si diversement nuancés et qui présentent cependant cette mêmé uniformité de
traits par laquelle sont > caractérisées toutes les inventions du genre humain
au premier âge de son ' existence sociale.
M. Duquesne a fait beaucoup de recherches étymologiques sur les mots
qui désignent les nombres dans la langue chibcha. Il assure que «tous ces
mots sont significatifs, que tous tiennent à des racines qui ont rapport, soit aux
phases de la lune croissante ou décroissante, soit à des objets de l’agriculture
et du culte. » Comme il n’existe aucun dictionnaire de la langue chibcha,
nous ne pouvons vérifier la justesse de cette assertion. On ne sauroit être
assez défiant lorsqu’il s’agit de recherches étymologiques, et nous nous contenterons
de présenter ici les significations des nombres de un à vingt, telles que
les renferme le manuscrit que j’ai rapporté de Santa -Fe. Nous ajouterons
seulement qiie le père Lugo, sans se livrer à d’autres discussions sur les
nombres, rapporte, dans sa grammaire de la langue chibcha, quelle mot
gue désigné une maison, et qu’il se retrouve en entier dans gue-àta
(par élision gueta), vingt, une maison; dans gue-bosa, deux-vingts , quarante,
ou deux maisons;' dans gue-hisca, cinq-vingts, cent, ou cinq maisons.
i . A ta , étymologie douteuse : peut-être ce mot dérive-t-il d’une ancienne racine qui signifioit eau,
comme Vatl des Mexicains. Hiéroglyphe : une grènouille. L e cri de ces animaux très-
fréquens sur le plateau de Bogota, annonce que le temps approche où l’on doit semer le
maïs et le quinoa. Les Chinois désignent le premier tsé, eau, non par une grenouille,
mais par un rat d’eau.
а. Basa, à l’entour. L e même mot signifie une sorte d’enclos pour défendre les champs des
animaux malfaisans. Hiéroglyphe : un nez avec des narines ouvertes, partie du
disque lunaire figuré comme un visage.
3. Mica, variable; d’après une autre étymologie, ce qui est choisi. Hiéroglyphe : deux yeux
ouverts, encore partie du disque lunaire.
4. Muyhica, tout ce qui est noir, nuage menaçant de la tempête. Hiéroglyphe : deux yeux fermés.
5. Bisca, se reposer. Hiéroglyphe : deux figures unies, les noces du soleil et de la lune; Conjonction.
б. Ta, récolte. Hiéroglyphe : un pieu avec une co rde , faisant allusion au sacrifice du Guesa
attaché à une colonne qui servoit peut-être de gnomon. •
7. Cuhupqua, sourd. Hiéroglyphe : deux oreilles.
8. Suhuza, queue. M. Duquesne ignore la signification de ce chiffre, de même que celle du mot suivant
9. Aca. Hiéroglyphe : deux grenouilles accouplées. •
10. Ubchihica, lune brillante. Hiéroglyphe : une oreille.
20. Gueta, maison. Hiéroglyphe : une grenouille étendue.
E T MONUMENS D E L ’AM ER IQ U E .
Les hiéroglyphes numériques se trouvent gravés sur 1a Planche XLIV
fig -4; et les explications que. nous.. venons d’en donner ..sont, celles ..qqes la
tradition a conservées parmi un petit nombre d’indiens que M. Duquesne
a. trouvés instruits dans, lp; calendrier dei leurs ancêtres. Les, personnes qui
ont. étudié les clefs chinoises !et le peu qpe:; l’on sait de leur origine, ne
regarderont pas comme entièrement chimériques .les explications des .chiffres
américains. Les traits caractéristiques s’effacent peu à peu par un long usage
des signes. Qui reconnoîtroit aujourd’hui dans. la forme des lettres hébraïques
et samaritaines celle des hiéroglyphes simples d’animaux, de maisons et d’armes
qui paraissent leur avoir donné naissance? Nos chiffres tibétains ou indoux,
appelés, faussement arabes, recèlent sans doute aussi un sens mystérieux.'
Chez les Indiens de Bogota, quelques traite d’une image se sont indubitablement
conservés dans basa, mica, hisca. ubchihica et gueta. Le dernier
hiéroglyphe est presque identique avec le signe indien de quatre?.
Il est intéressant de trouver des chiffres chez un peuple à demi-barbarf,
qui ne connoissoit m l’art de préparer le papier, ni l'écriture. Le magiiey
(Agave americana) est indigène dans les deux Amériques, et cependant c’est
seulement chez les peuples de race toltèque et aztèque que l ’usage du papier
n a été aussi connu qu il l’étoit, depuis les temps les plus reculés, en Chine
et au Japon. Quand on se rappelle combien les Grecs et les Romains éprou-
yoient de difficultés pour se procurer du papyrus, même à une époque où
leur littérature brilloit déjà de l'éclat le plus vif, on regrette presque de voir,
la matière du papier si commune chez des nations américaines, qui ignoraient
l’écriture syllabique, et qui n'avoient à transmettre à la postérité, dans des
peintures informes, que des rêveries, astrologiques.et les souvenirs d’un culte
inhumain.
S il étoit vrai, comme le prétend M. Duquesne, que, dans l’idiome chibcha,
les mots qui désignent les nombres ont des racines communes avec d’autres
mots qui indiquent les phases de la lune ou des objets relatifs à la vie champêtre,
ce fait seroit un des plus remarquables que présente l ’histoire philosophique
des langues. On peut concevoir qu’une ressemblance accidentelle de sons se
manifeste quelquefois entre des mots numériques et des choses qui n’ont
aucun rapport aux nombres, comme dans neuf (novem, en sanskrit nava\
Haghr, Memoria suite ctfre de la Cina. (Mines de l’Orient, Tom.ii, pag. 73). ' ~
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