le premier rang parmi les divinités d’Anahuac: on la voit toujours représentée
en rapport avec un grand serpent. D’autres peintures nous offrent une couleuvre
panachée, mise en pièces par le Grand Esprit Tezcatlipoca, ou par le soleil
personnifié, le dieu Tonatiuh. Ces allégories rappellent d’antiques traditions
de l’Asie. On croit voir, dans la femme au serpent des Aztèques, l’Eve des
peuples sémitiques ; dans la couleuvre mise en pièces, le fameux serpent
Kaliya ou Kalinaga, vaincu par Vishnu, lorsqu’il a pris la forme de Krischna.
Le Tonatiuh des Mexicains paroît aussi être identique avec le Krischna des
Hindoux, chanté dans le Bhagavata Pourâna, et avec le Mithras des Perses.
Les plus anciennes traditions des peuples remontent à un état de choses ou la
terre, couverte de marais, étoit habitée par des couleuvres et d’autres animaux
à taille gigantesque : l’astre bienfaisant, en desséchant le sol, délivra la terre
de ces monstres aquatiques.
Derrière le serpent, qui paroît parler à la déesse Gihuacohuatl, se trouvent
deux figures nues; elles sont de couleur différente, et paroissent dans l ’attitude
de se battre. On pourroit croire que les deux vases que l’on observe au bas
de la peinture, et dont l’un est renversé, font allusion à la cause de cette
rixe. La femme au serpent étoit regardée au Mexique comme mère de deux
enfans jumeaux : ces figures nues sont peut-être les enfans de Cihuacohuatl ;
elles rappellent le Caïn et l’Abel des traditions hébraïques. Je doute d’ailleurs
que la différence de couleur que l ’on remarque entre les deux figures indique
une différence de race, comme dans les peintures égyptiennes trouvées dans
les tombeaux des rois à Thèbes, et dans les ornemens moulés en terre et
appliqués sur les caisses des momies de Sakharah*. En étudiant avec soin
les hiéroglyphes historiques des Mexicains, on croit reconnoître que les têtes
et les mains des figures sont peintes comme au hasard, tantôt en jaune, tantôt
en bleu, tantôt en rouge.
La cosmogonie des Mexicains, leurs traditions sur la mère des hommes,
déchue de son premier état de bonheur et d’innocence; l’idée d’une grande
inondation, dans laquelle une seule famille s’est échappée sur un radeau ;
l’histoire d’un édifice pyramidal élevé par l ’orgueil des hommes et détruit
par la colère des Dieux; les cérémonies d’ablution pratiquées à la naissance
des enfans; ces idoles faites avec la farine de maïs pétrie, et distribuées en
* Dehon , Voyage en Egypte, p. 298— 3i3.
parcelles au peuple rassemblé dans l’enceinte des temples ; ces déclarations
de péchés faites par les pénitens; ces associations religieuses ressemblant à nos
couvens d’hommes et de femmes; cette croyance universellement répandue,
que des hommes blancs à longue barbe, et d’une grande sainteté de moeurs,
avoient changé le système religieux et politique des peuples : toutes ces
circonstances avoient fait croire aux religieux qui accompagnoient l’armée des
Espagnols lors de la conquête, qu’à une époque très-reculée le christianisme
avoit été prêché dans le nouveau continent. Des savans mexicains 1 crurent
reconnoître l’apôtre Saint Thomas dans ce personnage mystérieux, grand-prêtre
de Tula, que les Cholulains connoissoient sous le nom de Quetzalcoatl. Il
n’est pas douteux que le nestorianisme, mêlé aux dogmes des Bouddhistes
et des Chamans3, ne se soit répandu, par la Tartarie des Mantchoux, dans
le nord-est de l ’Asie : on pourroit donc supposer, avec quelque apparence
de raison, que des idées chrétiennes ont été communiquées, par la même
voie, aux peuples mexicains, surtout aux habitans de cette région boréale
de laquelle sortirent les Toltèques, et que nous devons considérer comme
Yojjficina virorum du nouveau monde.
Cette supposition seroit même plus admissible que l’hypothèse d’après
laquelle les traditions antiques des Hébreux et des Chrétiens auroient passé en
Amérique par les colonies Scandinaves, formées depuis le onzième siècle sur
les côtes de Groenland, au Labrador, et peut-être même dans l ’île de Terre-
Neuve. Ces colons européens visitèrent sans doute une partie du continent,
qu’ils appelèrent Drogeo; ils connurent des pays qui étoient situés au sud-ouest,
et habités par des peuples anthropophages réunis dans des villes populeuses :
mais sans1 examiner ici si ces villes étoient celles des provinces d’Ichiaca et
de Confachiqui, visitées par Hernando de Soto, le conquérant de la Floride, il
suffit d’observer que les cérémonies religieuses, les dogmes et les traditions
qui ont frappé l’imagination des premiers missionnaires espagnols, se trouvoient
indubitablement au Mexique depuis l’arrivée des Toltèques, et par conséquent
trois ou quatre siècles avant les navigations des Scandinaves aux côtes orientales
du nouveau continent.
Les religieux qui, à la suite de l’armée de Cortez et de Pizarro, ont pénétré
1 Sigubhza , Opéra ined. E g u iab a , BibL mexicana, p. 78.
* L à n g lô s , Rituel des Tartares-Mantchoux, p . 9 et 14. G eo rg i Alpliab. tibetanum, p . 298.