dieu de l’air. Ce Quetzalcoatl ( dont le nom signifie serpent revêtu de plumes
vertes, de coati, serpent, et quetzaüi, plume verte) est sans doute l ’être
le plus mystérieux de toute la mythologie mexicaine : c’étoit un homme
blanc et barbu comme le Bocbica des Muyscas, dont nous avons parlé
plus baut en décrivant la cascade du Tequendama : il étoit grand-prêtre à
Tula ( Toüan j , législateur, chef d’une secte religieuse q u i, comme les
Sonyasis et les Bouddhistes de l’Indostan, s’imposoit les pénitences les plus
cruelles : il introduisit la coutume de se percer les lèvres et les oreilles y
et de se meurtrir le reste du corps avec les piquans des feuilles d’agave, ou
avec les épines du cactus, en introduisant des roseaux dans les plaies pour
qu’on vît ruisseler le sang plus abondamment. Dans un dessin mexicain,
conservé à la bibliothèque du Vatican ’ , j ’ai vu une figure qui représente
Quetzalcoatl apaisant, par sa pénitence, le courroux des dieux, lorsque, treize
mille soixante ans après la création du monde (je suis la chronologie très-
vague rapportée par le père Rios ) , il y eut une grande famine dans la
province de Culan : le saint s’étoit retiré près de Tlaxapuchicalco, sur le
volcan Catcitepetl (montagne qui parle), où il marcha pieds nus sur des feuilles
d’agave armées de piquans. On croit voir un de ces Rishi, hermites du Gange,
dont les Pourânas célèbrent la pieuse austérité \
Le règne de Quetzalcoatl étoit l’âge d’or des peuples d’Anahuac : alors tous
les animaux, les hommes même vivoient en paix, la terre produisoit sans culture
les plus riches moissons, l’air étoit rempli d’une multitude d’oiseaux que l’on
admiroit à cause de leur chant et de la beauté de leur plumage; mais ce règne,
semblable à celui de Saturne, et le bonheur du monde ne furent pas de longue
durée : le Grand Esprit Tezcatlipoca , le Brahmâ des peuples d’Anahuac, offrit
à Quetzalcoatl une boisson qui, en le rendant immortel, lui inspira le goût
dès voyages, et surtout un désir irrésistible de visiter un pays éloigné que la
tradition appelle Tlapallan3. L ’analogie de ce nom avec celui de Huehuetlapallan,
la patrie des Toltèques, ne paroît pas être accidentelle : mais comment concevoir
que cet homme blanc, prêtre de Tula, se soit dirigé, comme nous le verrons
bientôt, au sud-est, vers les plaines de Cholula, et de là aux côtes orientales
1 Codex anonymus, n.° 8738, fol. 8.
a Schlegel über Sprache und Weisheit der Indier, p. i 3a.
8 Clavigero , Storia di Messico , Tom. I I , p. 1 &
du Mexique, pour parvenir à ce pays septentrional d’où ses ancêtres étoient
sortis, l ’an 596 de notre ère ?.
Quetzalcoatl, en traversant le territoire de Cholula, céda aux instances des
habitans, qui lui offrirent les rênes du gouvernement : il demeura pendant vingt
ans parmi eux, leur apprit à fondre des métaux, ordonna les grands jeûnes
de quatre-vingts jours, et régla les intercalations de l ’année toltèque; il exhorta
les hommes à la paix; il ne voulut pas que l’on fît d’autres offrandes à la
divinité que les prémices des moissons. De Cholula , Quetzalcoatl passa à
l’embouchure .de la rivière de Goasacoalco, où il disparut après avoir fait
annoncer aux Cholulains ( Chololtecatles) qu’il reviendroit dans quelque temps
pour les gouverner de .nouveau, et pour, renouveler leur bonheur.
C’étoient les descendans de ce saint que le malheureux Montezuma crut
reconnoître dans les compagnons d’armes de Cortez. «Nous savons par nos
« livres, dit-il dans son premier entrètien avec le général espagùol, que moi
« et tous ceux qui habitent ce pays, ne sommes pas. indigènes, mais que
« nous sommes des étrangers- venus de très-loin. Nous savons aussi que
« le chef qui conduisit nos ancêtres retourna pour quelque temps dans sa
« première patrie, et qu’il revint ici pour chercher ceux qui s’y étoient
« établis : il les trouva mariés avec les femmes de cette terre, ayant une
« postérité nombreuse et vivant dans des villes qu’ils avoient construites : les
« nôtres ne voulurent pas obéir à leur ancien maître, et il s’en retourna
« seul. Nous avons toujours cru que ses descendans viendroient un jour
« prendre possession de ce pays. Considérant que vous venez de. cette partie
« où naît le soleil, et que, comme vous me l ’assurez, vous nous connoissez
« depuis long-temps, je ne puis douter que le roi qui vous envoie ne soit
« notre maître naturel *. »
Il existe encore aujourd’hui, parmi les Indiens de Cholula, une autre
tradition très-remarquable, d’après laquelle la grande pyramide n auroit pas
été destinée primitivement à servir au culte de Quetzalcoatl. Après mon retour
en Europe, en examinant à Rome les manuscrits mexicains de la bibliothèque
du Vatican, j’ai vu que cette même tradition se trouve consignée dans un
manuscrit de Pedro de los Rios, religieux dominicain, qui, en i 566, copia sur
les fieux toutes les peintures hiéroglyphiques qu’il put se procurer. « Avant
1 Première lettre de Cortez, §. xx i et xxix.