Il en est de l’étude de l’histoire du genre humain comme de l’étude de cette
immensité de langues que nous trouvons répandues sur la surface du globe.
Ce seroit se perdre dans un dédale de conjectures, que de, vouloir assigner
une origine commune à tant de races et de langues diverses. Les racines
du samskrit trouvées dans la langue persane, le grand nombre de racines du
persan, et même du pehlvi, que l’on découvre dans les langues d'origine
germanique1, ne nous donnent pas le droit de regarder le samskrit, lé pehlvi ,
ou la langue ancienne des Mèdes, le persan et l’allemand, comme dérivant d’une
seule et même source. H seroit absurde sans doute de supposer des colonies
égyptiennes partout où l ’on observe des monumens pyramidaux et des peintures
symboliques ; mais comment ne pas être frappé des traits de ressemblance
qu’offre le vaste tableau des moeurs, des arts, des langues et des traditions
qui se trouvent aujourd’hui chez les peuples les plus éloignés les uns des
autres? Comment ne pas indiquer, partout où elles se présentent, les analogies
de structure dans les langues, de style dans lés monumens, de fictions dans
les cosmogonies, lors même que l’on ne peut prononcer sur les causes secrètes
de ces ressemblances, et qu’aucun fait historique ne remonte à l’époque des
communications qui ont existé entre les habitans des divers climats?
En fixant les yeux sur les moyens graphiques que les peuples ont employés
pour exprimer leurs idées, nous trouvons de vrais hiéroglyphes, tantôt cyrio-
logiques, tantôt tropiques, comme ceux dont l’usage paroît avoir passé de
l’Ethiopie en Egypte; des chiffres symboliques, composés de plusieurs clefs,,
destinés à parler plutôt aux yeux qu’à l’oreille, et exprimant des mots entiers,
comme les caractères chinois; des syllabaires, comme ceux des Tartares-
Mantchoux, dans lesquels les voyelles font corps avec les consonnes , mais
qui sont propres à être résolus en lettres simples ; enfin, de vrais alphabets,
qui offrent le plus haut degré de perfection dans l’analyse des sons, et dont
quelques - uns, par exemple le coréen, d’après l’observation ingénieuse de
M. Langlès1, paroissent encore indiquer le passage des hiéroglyphes à l’écriture
alphabétique.
Le nouveau continent, dans son immense étendue, présente des nations
arrivées à un certain degré de civilisation : on y reconnoît. des formes de
1 Adelung’s Mithridates, Th. I , s. 277. S chlegkl, üb e r Sprache u n d W eisheit d c r In d c r, s. 7.
* Voyage de N o rd en , édition d e L ang lès, Tom. H t , p. 296.
gouvernement et des institutions qui ne pouvoient être que l ’effet d’une lutte
prolongée entre le prince et les peuples, entre le sacerdoce et la magistrature:
on y trouve des langues, dont quelques-unes, comme le gronlandois, le cora,
le tamanaque, le totonaque et le quichuà ", offrent une richesse de formes
grammaticales que, dans l ’ancien continent, on n’observe nulle part, sinon
au Congo et chez les Basques, qui sont les restes des anciens Cantabres ; mais
au milieu de ces traces de culture et de ce perfectionnement des.langues, il est
remarquable qu’aucun peuple indigène de l’Amérique ne s’étoit élevé à cette
analyse des sons qui conduit à l ’invention la plus admirable, on pourroit dire
la plus merveilleuse de toutes; celle d’un alphabet.
Nous voyons que l’usage des peintures hiéroglyphiques étoit commun aux
Toltèqués, aux Tlascaltèques, aux Aztèques; et à plusieurs autres tribus qui,
depuis le septième siècle de notre ère, paroissent successivement sur le plateau
d’Anahuac ; nulle part nous ne trouvons des caractères alphabétiques : on
pourroit croire que le perfectionnement des signes symboliques, et la facilité
avec laquelle on peignoit les objets, avoient empêché l'introduction des lettres;
On pourroit citer, à l’appui de cette opinion, l’exemple des Chinois, qui, depuis
des milliers d’années, se contentent de quatre-vingt mille chiffres, composés de
deux cent, quatorze clefs ou hiéroglyphes radicaux : mais ne voyons-nous pas
chez les Egyptiens l’usage simultané d’un alphabet et de l ’écriture hiéroglyphique,
comme le prouvent indubitablement les précieux rouleaux de papyrus trouvés
dans les enveloppes de plusieurs momies, et représentés dans l’Atlas pittoresque ?
de M. Denon?
K.alm rapporte, dans son Voyage en Amérique, que M. de Verandriér avoit
découvert en 17465 dans les savannes du Canada, à neuf cents lieues à l ’ouest
de Montréal, une tablette de pierre fixée dans un pilier sculpté, et sur laquelle
se trouvoient des traits que l’on prit pour une inscription tartare. Plusieurs
jésuites à Québec assurèrent au voyageur suédois avoir eu en main cette
tablette, que le chevalier de Beauharnois, alors gouverneur du Canada, avoit
fait passer à M. de Maurepas, en France 3. On ne sauroit assez regretter de
n’avoir eu aucune notion ultérieure sur un monument si intéressant pour
1 Archiv fur Ethnographie, B. I , s.. 345. V a te h , s. 206.
? Kalms Reise, B. m , s. 4 i 6.
5 Denon, Voyage en Egypte, pl. i 36 et i 5 ÿ.