Paramo d e l ’Assuay, on voit paroître successivement, et sur une longueur
trente sept lieues, à l ’ouest, les cimes de Casitagua, Pichincha, Atacazo,
Corazon, Iliniza, Carguairazo, Chimborazo et Cunambay; à l’est, les cimes de
Guamani, Antisana, Passuchoa, Ruminavi, Cotopaxi, QuelendaSa, Tungurabua
et Capa-Urcu, qui, à l ’exception de trois ou quatre, sont toutes plus élevées
que le Mont-Blanc. Ces montagnes sont rangées de manière que, vues du
plateau central, loin de se couvrir mutuellement, elles se présentent, au
contraire dans leur véritable forme, comme projetées sur. la voûte azurée du
ciel : on croit voir dans un même plan vertical leur sommet et leur pic;
elles rappellent le spectacle imposant des côtes du Nouveau - Norfolk et de
la rivière de Cook; elles paroissent comme un rivage escarpé qui, s’élevant
du sein des eaux, semble d’autant moins éloigné quaucun objet nest placé
entre le rivage et l’oeil de l ’observateur.
Mais si la structure des Cordillères et la forme du plateau central favorisent
les observations géologiques; si elles fournissent aux voyageurs la. facilité
d’examiner de très-près les contours de la double crête des Andes, 1 énorme
élévation de ce même plateau fait aussi paroître plus petites, des cimes qui,
placées sur des îlots, épàrses dans l’immensité des mers, comme le Mowna-
Roa et le pic de Ténériffe, en imposeroient davantage par leur effrayante
hauteur. La plaine de Tapia, que l ’on découvre sur le premier plan de la
seizième Planche, et dans laquelle j’ai dessiné, près de Riobamba-Nuevo, le
groupe du Chimborazo et du Carguairazo, a une hauteur absolue-de, deux
mille huit cent quatre-vingt-onze mètres (quatorze cent quatre-vingt-trois
toises) ; elle n’est que d’un sixième moins élevée que la cime de. 1 Etna. Le
sommet du Chimborazo n’excède par conséquent la hauteur de ce plateau que
de trois mille six cent quarante mètres, ce qui fait quatre-vingt-quatre mètres
de moins que la hauteur de la cime du Mont-Blanc au-dessus du prieuré de
Chamonix; car la différence entre le Chimborazo et le Mont-Blanc est a peu
près égale à celle qu’on * observe entre l’élévation du plateau, de Tapia et le
fond de la vallée de Chamonix. La cime du pic de Ténériffe, comparée au
niveau de la ville de l’Orotava, est encore plus élevée que le Chimborazo et le
Mont-Blanc ne le sont au dessus de Riobamba et de Chamonix.
Des montagnes qui nous • étonneroient par leur hauteur, si elles étaient
placées au bord de la mer, ne paroissent que des collines, si elles s élèvent
du dos des Cordillères : Quito, par exemple; est adossé'à un petit cône appelé
Javirac, et qui ne paroît pas plus élevé aux habitans de cette, ville, que
Montmartre ou les hauteurs dé Meudon ne le paroissent aux habitans de Paris :
cè eoftê*=3u JaVirac, d’après ma mesure, a cependant trois mille cent vingt-
un mètres (seize(cents toisés) de hauteur absolue; il est presque aussi élevé que
le sommet du Marboré, une des plus hautes cimes de la chaîne des Pyrénées:
Malgré les effets* de cette illusion, produite par la hauteur des plateaux
de Quito,’dé Mulalo et de Riobamba, on chercheroit en vain, près des côtes
ou sur la pente orientale du Chimborazo, un endroit qui offrît une vue
aussi magnifique de la Cordillère, que celle dont j’ai joui, pendant plusieurs
semaines, dans la plaine de Tapia. Lorsqu’on est placé sur le dos des Andes ,
entre la double crête que forment les cimes colossales du Chimborazo, du
Tungurahua et du Cotopaxi, on est encore assez rapproché de leurs sommets
pour les voir sous des angles de hauteur très - considérables : niais en descendant
vers les forêts qui entourent le pied des Cordillères, ces angles
deviennent très-petits; car, à cause de l’énorme masse des montagnes, on
S'éloigne rapidement des’ sommets’, à mesure que l’on s’approche du niveau
de l ’Océan.
J’ai dessiné les contours du Chimborazo et du Carguairazo, en employant
les mêmes moyens graphiques que j’ai indiqués plus haut, lorsque j’ai parlé
du dessin du Cotopaxi. La ligne qui marque la limite inférieure des neiges
perpétuelles se trouve à une hauteur qui excède un peu celle du Mont-Blanc ;
car cette dernière montagne, placée | sous l’équateur, ne se couvriroit de
neiges qu’accidentellement. La température constante qui règne sous cette
zone fait que la limite des glaces éternelles n’offre pas ces irrégularités que
1 on observe-dans les Alpes et dans les Pyrénées. C’est à la pente septentrionale
du Chimborazo, entre cette montagne et le Carguairazo, que passe le chemin
qui conduit de Quito à Guayaquil, vers les côtes de l ’Océan Pacifique. Les
mamelons couverts de neiges qui s’élèvent de ce côté, rappellent, par leur
forme, Celle du dôme de Goûté, vu de la vallée de Chamonix. C’est sur une
arête étroite qui sort du milieu des neiges, sur la pente méridionale, que
nous avons tenté de parvenir, non sans danger, MM. Bonpland, Montufar
et moi, a la cime du Chimborazo. Nous avons porté des instrumens à une
hauteur considérable, quoique nous fussions entourés d’unè brume épaisse,