Il résulte de l’ensemble dè ces faits, qu’il n’existe aucune preuve certaine
de la connoissance d’un alphabet parmi les Américains. Dans des recherches
de ce genre, on ne sauroit être assez sur ses gardes pour ne pas confondre
ce qui est dû au hasard et aux jeux de l’oisiveté, avec des lettrés où des
caractères syllabiques. M. Truter 1 rapporte qu’à l’extrémité méridionale de
l’Afrique, chez les Betjuanas, il a vu des enfans occupés à tracer sur un
rocher, au moyen d’un instrument tranchant, des caractères qui avoient la
plus parfaite ressemblance avec le P et le M de 1 alphabet romain, et cependant
ces peuples grossiers sont bien éloignés de conhoître 1 écriture.
Ce manque de lettres observé dans le nouveau continent, lors de sa
seconde découverte par Christophe Colomb, conduit à lidée que les tribus dé
race tartare ou mongole, que l ’on peut supposer être venues de l ’Asie orientale
en Amérique, ne possédoient pas elles-mêmes l’écriture alphabétique, ou, ce
qui est moins probable, qu’étant retombées dans la barbarie, sous 1 influencé
d’un climat peu favorable au développement de l’esprit, elles avoient perdu
cet art merveilleux, connu seulement d’un très-petit nombre d individus. Nous
n’agiterons point ici la question si l ’alphabet dêvanâgari est d une haute antiquité
sur les bords de l’Indus et du Gange, ou si, comme le dit Strabon % d âpres
Megasthenes, les Hindous ignoroient l’écriture avant les conquêtes d Alexandre.
Plus à l ’est et plus au nord, dans la région des langues monosyllabiques, de
même que dans celle des langues tartares, samojèdes, ostiaquès et kamtschadales,
l’usage des lettres, partout où on le trouve aujourd’hui, n a été introduit que
très-tard. Il paroît même assez probable que c’est le christianisme nestorien3
qui a donné l’alphabet stranghelo aux Oïghours et aux Tartares-Mantchôux;
alphabet qui, dans les régions septentrionales de l ’Asie, est encore plus récent
que ne le sont, les caractères runiques dans le nord de l ’Europe. On n a donc
pas besoin de supposer que les communications entre 1 Asie orientale et
l’Amérique remontent à une antiquité très-reculée, pour comprendre comment
cette dernière partie, du monde n’a pu recevoir un art qui, pendant une longue
série de siècles, n’a été connu4 qu’en Égypte, dans les colonies phéniciennes
1 Bertuch, Geogr. Ephem., B. X I I , s. 67.
1 Stkabo, Lib. X V , p. io 35— io44-'
3 L anglès , Dictionnaire tartare-mantchou, p. 18. Recherches asiatiques, Tom. I I , p. 62 , n. cl.
4 Zoega , de origine ' Obeliecorum , p. 55i.
et grecques, et dans le petit espace de terrain contenu entre la Méditerranée,
l ’Oxus et le Golfe persique. . ;
En parcourant 1 histoire des pëüples-qui ignorent l’usage des lettres, on
voit que presque partout, dans les deux hémisphères, les hommes ont essayé
de peindre les objets qui frappent leur imagination, dé rèprésenter les choses
qn indiquant une partie pour le tout, de composer des tableaux en réunissant
des figures ou les parties qui les rappellent, et de perpétuer ainsi, la mémoire
de quelques faits remarquables. L Indien Delaware, en parcourant les bois,;
trace des traits dans l’écorce des arbrés, pour annoncer le nombre d’hommes
et de femmes qu il a tués à l’ennemi : le signe conventionnel qui indique la
peatr arrachée de la tête dune femme, ne diffère que par un simple trait de.
celui, qui caractérise la chevelure de l’homme. Si l’on veut nommer hiéroglyphe
toute peinture des idées par les choses; il n’y a, commcTobsêrvë très-bien
M. Zoega, pas un coin de la terre dans lequel oh né trouvé l’écriture hiéroglyphique
: mais ce même savant, qui a fait une étude approfondie des peintures
mexicaines'^ observe aussi qu’il ne faut pas confondre l’écriture hiéroglyphique
avec la représentation d’un événement, avec des tableaux dans lesquels les objets
sont en rapport d’action les uns avec les autres.
Les premiers religieux qui ont visité l’Amérique, Valadès et Acosta2, ont déjà
nommé les peintures aztèques « Une écriture semblable à celle des Égyptiens. »
Si depuis, Kircher, Warburton et d’autres savans, ont contesté la justesse de
cette expression, c’est parce qu’ils n’ont pas distingué les peintures d’un genre
mixte > dans lesquelles de vrais hiéroglyphes, tantôt cyrioiogiques, tantôt
tropiques, Sont ajoutés à la représentation naturelle d’une action, et Y écriture
hiéroglyphique simple ^ telle qu’on la trouve, non sur \e pyràmidion y mârs
sur les grandes faces des obélisques. La fameuse inscription de Thèbes, citée
par Plutarque-et par Clément d’Alexandrie 3, la seule dont l’explication soit
parvenue jusqu à nous, exprimoit, dans les hiéroglyphes d’un enfant, d’un
vieillard, d un vautour, d’un poisson et d’un hippopotame, la sentence suivante:
«Vous qui naissez et qui devez mourir, sachez que l’Éternel déteste l ’impudence.»
1 Zoega , p. 525—534.
2 Rhetorica Christiana, auctore D idaco V a la d è s ; R omæ, 1579, P. H , c. 27, p. g3. Aco sta /Lib. V I , ç. 7.
3 P lut, de Isidc; ed. Par., 1624, Tom. H , p. 363, F. Clem. Alexamdr. Stromat, Lib. V , c. 7 ; ed.
PoWer, Oxon, 17 15, Tom. H , p. 670, lin. 3o,