et dans les trois maisons de l’Inca, au Pullal, dont chacune a plus de
cinquante-huit mètres de long : il est formé d’un mélange de petites pierres
et de marne argileuse, qui fait effervescence avec les acides; c’est un vrai
mortier, dont j ’ai retiré, au moyen d’un couteau, des portions considérables,
en creusant dans les interstices que laissent les assises parallèles des pierres.
Ce fait mérite quelque attention, parce que les voyageurs qui m’ont précédé
ont tous assuré que les Péruviens ne connoissoient point l’usage du ciment;
mais on a eu tort de supposer cette ignorance chez eux, de même que chez
les anciens habitans de l’Égypte : les Péruviens n’employoient pas seulement
un mortier marneux ; dans les grands édifices de Pacaritambo1, ils ont fait
usage d’un ciment d’asphalte ( betun) , mode de construction qui, sur les
bords de l’Euphrate et du Tigreremonte à la plus haute antiquité.
Le porphyre qui a servi aux édifices du Canar est taillé en parallélipipèdes,
avec une telle perfection que les joints des pierres seroient imperceptibles,
comme le remarque très-bien M. de La Condamine % si leur surface extérieure
étoit plane : mais la face extérieure de chaque pierre est légèrement convexe
et coupée en biseau vers les bords; en sorte que les joints forment de petites
cannelures qui servent d’ornemens, comme les séparations des pierres dans les
ouvrages rustiques. Cette coupe de pierres, que les architectes italiens appellent
bugnato, se retrouve dans les ruines du Callo, près de Mulalo, où je la i
dessinée en détail5 : elle donne aux murs des édifices péruviens une grande
ressemblance avec de certaines constructions romaines, par exemple, arec le
muro di Nerva à Rome.
Ce qui caractérise surtout les monumens de 1 architecture péruvienne; e est
la forme des portes, qui avoient généralement dix-neuf à vingt décimètres (six à
huit pieds) d élévation, afin que l’Inca ou d’autres grands seigneurs pussent y
passer, quoique portés dans un brancard sur les épaules de leurs vassaux. Les
jambages dé ces portes n’étoient pas parallèles, mais inclinés, sans doute pour
que l’on pût employer des linteaux dé pierre d’une moindre largeur. Les
niches (hoco) pratiquées dans les murs, et servant d’armoires, imitent la
forme de ces porte rastremccte : c’est l’inclinaison de leurs jambages qui donne
1 Cieça, Chronica delPeru (Anvers, i 55 4 ) , p. a3 4
3 Mémoires de l’académie de Berlin, 1746, p. 445.
5 Voyez Pl. XXIV.
aux édifices péruviens une certaine ressemblance avec ceux de l’Égypte, dans
lesquels les linteaux sont constamment plus courts que l’ouverture inférieure
des portes. Entre les hocos, se trouvent des pierres cylindriques , à surface
polie, qui saillent hors du mur, à cinq décimètres de longueur : les indigènes
nous ont assuré qu’elles servoient à suspendre des armes ou des vêtemens. On
observe en outre, dans les encoignures des murs, des traverses de porphyre
d’une forme bizarre. M. de La Condamine croit qu’elles étoient destinées à
lier les deux murs : j’incline plutôt à croire que les cordages des hamacs étoient
attachés autour de ces traverses ; du moins les trouve-t-on en bois, et servant
au même usage, dans toutes les cabanes des Indiens de l ’Orénoqué.
Les Péruviens ont montré une habileté étonnante à tailler les pierres les
plus dures. Au Canar, on trouve des canaux courbes creusés dans le porphyre
pour suppléer aux gonds des portes. La Condamine et Bouguer ont vu, dans
d’anciens édifices construits du temps des Incas, des ornemens de porphyre
représentant des mufles d’animaux, dont les narines percées portoient. des
anneaux mobiles de la même pierre '. Lorsque je traversai ,1a Cordillère par le
Paramo de l ’Assuay, et que je vis ces énormes masses de pierres de taille tirées
des carrières de porphyre du Pullal, et employées à construire les grandes
routes de l ln c a , je commençai déjà à douter que les Péruviens n’eussent
connu d’autres outils que des haches de caillou; je soupçonnai que le frottement
n’étoit pas le seul moyen qu’ils avoient employé pour aplanir les pierres ou
pour leur donner une convexité régulière et uniforme : j’embrassai dès-lors une
opinion contraire aux idées généralement reçues; je supposai que les Péruviens
avoient eu des outils de cuivre, qui, mêlé dans unie certaine proportion à l ’étain,
acquiert une grande dureté. Cette supposition s’est trouvée justifiée par la.
découverte d’un ancien ciseau péruvien trouvé à Vilcabamba, près du Cuzco ,
dans une mine d’argent travaillée du temps des Incas. Cet instrument précieux,
que je dois à l ’amitié du père Narcisse Gilbar, et que j ’ai eu le bonheur de
rapporter en Europe, a douze centimètres de long et deux de large : la matière
dont il est composé a été analysée par M. Vauquelin, qui y a trouvé 0,94 de
cuivre et 0,06 d’étain. Ce cuivre tranchant des Péruviens est presque identique
avec celui des haches gauloises, qui coupent le bois comme le feroit de l ’acier®.
1 Mémoires de l’académie de Berlin, 1746, p. 45a , Tab. 7 , f. 4 -
* y V ez mon Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, p. 485.
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