moeurs des peuples aztèques. Le vice-roi Mendoza avoit fait ajouter a chaque
page du recueil une explication en mexicain et en espagnol, de sorte que
l’ensemhle forme un ouvrage très-intéressant pour l’histoire. Les figures,
malgré l’incorrection des contours, offrent-plusieurs traits de moeurs extrêmement
piquans : on y voit l’éducation des enfans depuis leur naissance jusqu à
ce qu’ils deviennent membres de la société, soit comme agriculteurs ou
artisans, soit comme guerriers, soit comme prêtres. La quantité de nourriture
qui convient à chaque âge, le châtiment qui doit être infligé aux enfans
des deux sexes ; tout chez les Mexicains étoit prescrit dans le détail le plus
minutieux, non par la loi, mais par des usages antiques dont il n’étoit
pas permis de s’éloigner. Enchaînée par le despotisme et la barbarie. des
institutions sociales, sans liberté dans les actions les plus indifférentes de la vie
domestique , la nation entière étoit élevée dans une triste uniformité d’habitudes
et de superstitions. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets dans
l’ancienne Egypte, dans l’Inde, en Chine, au Mexique et au Pérou, partout
où les hommes ne présentaient que des masses animées d une même volonté,
partout où les lois, la religion et les usages ont contrarié le perfectionnement
et le bonheur individuel.
On reconnoît, parmi les peintures du recueil de Mendoza, les cérémonies
qui .se faisoient à la naissance d’un enfant. La sage-femme, en invoquant
le'dieu Ometeuctli et la déesse Omecihualt, qui vivent dans le séjour-des
bienheureux, jetait de l’eau sur le front et la poitrine du nouveau-né : après
avoir prononcé différentes prières1, dans lesquelles l’eau était considérée
comme le symbole de la purification de l’ame, la sage-femme faisoit approcher
des enfans qui avoient été invités pour donner un nom au nouveau-né. Dans
quelques provinces on allumoit en même temps du feu, et on faisoit semblant
de passer l ’enfant par la flamme, comme pour le purifier à la fois par l’eau et
le feu. Cette cérémonie rappelle des usages dont l’origine, en Asie, paroît se
perdre dans une haute antiquité.
D’autres planches du recueil de Mendoza représentent les châtimens souvent
barbares que les parens doivent infliger à leurs enfans, selon la gravité du délit,
et selon l ’âge et le sexe de celui qui l ’a commis : une mère expose sa fille à la
fumée du piment ( Capsicum bacatum ) : un père pique son fils de huit ans,
1 Clavigero, Tom. H , p. 86.
avec des feuilles de pitte qui sont terminées par de fortes épines; la peinture
indique en quels cas l’enfant ne peut être piqué qu’aux mains seules, et en
quels autres cas il est permis aux parens d’étendre cette opération douloureuse
sür le corps entier : un prêtre, teopixqui3 châtie un novice, en lui jetant des
tisons ardens sur la tête;, parce qu’il a passé la nuit hors de l ’enceinte du
temple : un autre prêtre est peint assis, dans l’attitude d’observer les étoiles
pour indiquer l ’heure de minuit; on distingue, dans la peinture mexicaine,
l’hiéroglyphe de minuit placé au-dessus de la tête du prêtre, et une ligne
ponctuée qui se dirige de l ’oeil de l’observateur vers une étoile ‘ : on voit
aussi avec intérêt les figures qui représentent des femmes filant au fuseau ou
tissant en haute-lice; un orfèvre qui souffle dans le charbon à travers -un
chalumeau; un vieillard de soixante-dix ans, auquel la loi permet de s’enivrer,
de même qu’à une femme lorsqu’elle est grand’mère; une entremetteuse de
mariage, appelée cihuatlanque , qui porte la jeune vierge sur son dos à la
maison du fiancé; enfin la bénédiction nuptiale, dont la cérémonie consistait
en ce que le prêtre ou teopixqui nouoit ensemble le pan du. manteau (tihnatli)
du garçon, avec le pan du vêtement ( huepiUi) de la jeune fille. Le recueil
de Mendoza offre en outre plusieurs figures de temples mexicains ( téocaüis )-,
dans lesquelles on distingue très-bien le monument pyramidal divisé par assises,
et la petite chapelle, le vsàç, à la cime : mais la peinture la plus compliquée
et la plus ingénieuse de ce codex mexicanus, est celle qui représente un
tlatoani\ ou gouverneur de province, étranglé parce qu’il s’est révolté contre
son souverain-; car le même tableau rappellé les délits du gouverneur, le
châtiment de toute sa famille, et la vengeance exercée par ses vassaux contre
les messagers d’état porteurs des ordres du roi de Ténochtitlan*.
Malgré l’énorme quantité de peintures qui, regardées comme des monumens
de l’idolâtrie mexicaine, ont été brûlées au commencement de la conquête, par
ordre des évêques et des premiers missionnaires,.le chevalier Boturini3, dont
nous avons rappelé plus haut les malheurs, réussit encore, vers le milieu du
dernier siècle, à réunir près de cinq cents de ces peintures hiéroglyphiques.
Cette collection, la plus belle et la plus riche de toutes, a été dispersée comme
> Thevenot, -Tom. H , Pl. IV , fig. 49,. 5 i , 55, 6i.
3 Thbvbnot, fig. 5a, 53 , 58, 6a.
3 Boturini , Tableau général, p. î 96.