l’histoire de l’homme. Mais existoit-il à Québec des personnes capables de juger
du caractère d’un alphabet ? et si cette prétendue inscription eût été véritablement
reconnue en France pour une inscription tartare, comment un ministre éclairé
et ami des arts ne l ’auroit-il pas fait, publier?
Les antiquaires anglo-américains ont fait connoître une inscription qu’on, a
supposé phénicienne, et qui est gravée sur les rochers de Digliton, dans la baie
de Narangaset, près des bords dé la rivière de Taunton, à douze lieues au sud de
Boston. Depuis la fin du dix-septième siècle jusqu’à nos jours, Danforth,
Mather, Greenwood et Sewells en ont donné successivement des dessins,
dans lesquels on a de la peiné à reconnoître des copies du même , original.
Les indigènes - qui habitoient cès contrées, lors des premiers établissemens
européens, conservoient une ancienne tradition, d’après laquelle des étrangers,
naviguant dans des maisons de bois, avoient remonté la rivière.de Taunton,
appelée jadis Assoonet. Ces étrangers, après avoir vaincu les hommes rouges,
avoiènt gravé des traits dans le roc, qui est aujourd’hui couvert des eaux de
la rivière. Court de Gebelin n’hésite pas, - avec ; le savant docteur Stiles, de
regarder ces traits comme une inscription carthaginoise. H dit, avec cet
enthousiasme qui lui est naturel, et qui est très-nuisible dans des ^discussions
de ce genre : « Que cette inscription vient d’arriver tout exprès du nouveau
« monde, pour confirmer ses idées sur l’origine des peuples; et que l V y
« voit, d’une manière évidente> un monument phénicien, un tableau qui, sur
« le. devant, désigne une alliance entre des peuples américains et la nation
« étrangère, arrivant, par des vents du nord3 d’un pays riche et .industrieux. ».
J’ai examiné avec soin les quatre dessins de la fameuse pierre de Taunton
River, que M. Lort1 a publiés à Londres dans les Mémoires de la Société des
Antiquaires. Loin d’y reconnoître un arrangement symétrique de lettres simples
ou de caractères syllabiques, je n’y vois qu’un dessin à peine ébauché, et
analogue à ceux que l ’on a trouvés sur les rochers de la Norwège*, et dans
presque tous les pays habités par des peuples Scandinaves. On distingue a la
forme des têtes, cinq figures humaines, entourant un animal qui a des cornes,
et dont le devant est beaucoup plus-haut que l’extrémité postérieure.
Dans la navigation que nous avons faite, M. Bonpland et moi, pour
• Account of an ancient Inscription by Mr. L out, Archoeologia, Vol. VHI, p. 290.
' a Suhm Samlinger lil den Danskc Historié, B. H , p. 215.
E T MOMUMENS D E L ?A M É R IQ U E , 6 1
constater la communication entre l’Orénoque et la rivière des Amazones, nous
avons aussi'eu connoissance d’une inscription que l’on nous assuroit avoir été
trouvée dans la chaîne de montagnes granitiques qui, sous les sept degrés
de latitude, s’étend depuis le village indien d’Uruana ou Urbana jusqu’aux
rives occidentales du Caura. Un missionnaire, Ramon Bueno, religieux
franciscain, s’étant réfugié par hasard dans une caverne formée par la séparation
de quelques bancs de rocher,- vit au milieu de cette caverne un gros
bloc de granit, sur lequel il crut reconnoître des caractères réunis en plusieurs
groupes et rangés sur une même ligne. Les. circonstances pénibles dans lesquelles
nous nous trouvions au retour du Rio Negro à Saint-Thomas de la
Guayane, ne nous ont malheureusement pas permis de vérifier nous-mêmes
cette observation. Le missionnaire' m’a communiqué la copie d’une partie de
ces caractères, dont je donne ici la gravure :
On pourroit reconnoître, dans cès caractères, quelque ressemblance avec
l’ajphabet. phénicien; mais je doute'fort que le Jbon religieux, qui paroissoit
mettre peu d’intérêt à cette prétendue inscription, lait copiée avec beaucoup
de soin. Il est assez remarquable que sur sept caractères, aucun ne s’y trouve
répété plusieurs fois : je ne les ai fait graver que pour fixer, sur un objet
aussi digne d’examen, l’attention des savans qui pourront un jour visiter les
forêts de la Guâyàne.
Il est d’ailleurs assez remarquable que cette même contrée sauvage et
déserte, dans laquelle le père Bueno a cru voir des lettres gravées sur le
granit, présente un grand nombre de rochers qui, à des hauteurs extraordinaires,
sont couverts de figures d’animaux, de représentations du soleil, de la lune et
des astres, et d’autres signes peut-être hiéroglyphiques. Les indigènes racontent
que leurs ancêtres, du temps des grandes eaux, sont parvenus en canot jusqu’à
la cime de ces montagnes, et qu’alors les.pierres se trouvoient encore dans
un état tellement ramolli, que les hommes ont pu y tracer des traits avec
leurs doigts. Cette tradition annonce une horde dont la culture est bien
différente de • celle du peuple qui l’a précédée elle décèle une ignorance
absolue de l’usage du ciseau et de tout autre outil métallique.