On ne peut fixer les yeux sur ces peintures, sans qu’il se présente à l’esprit
une foule de questions intéressantes. Existoit-il à Mexico, du vivant de Cortèz,
des peintures hiéroglyphiques faites du temps de la dynastie toltèque, et par
conséquent au septième siècle de notre ère ? N’avoit-on plus à cette époque que
des copies du fameux livre divin * appelé teoa.moxtli} rédigé à Tula, l’an 660 ,
par l’astrologue Huematzin > et dans lequel on trouvoit l’histoire du ciel et
de la terre, la cosmogonie, la description des constellations, la division du
temps, les migrations des peuples, la mythologie et la morale? Ce Pourdna
mexicain, le teoamoxtli3 dont le souvenir s’est conservé à travers tant de
siècles, dans les traditions aztèques, fut-il un de ceux que le fanatisme des
moines fit brûler dans le Yucatan, et dont le père Acosta, plus instruit et plus
éclairé que ses contemporains, déplora la perte? Est-il certain que les Toltèques,
ce peuple laborieux et entreprenant, qui offre plusieurs traits de ressemblance
avec les Tchouds1 ou anciens habitans de la Sibérie, ont les premiers introduit
la peinture ? ou bien les Cuitlaltèques et les Ohnèques, qui habitoientle plateau
d’Anahuac avant l’irruption des peuples d’Aztlan, et auxquels le savant Siguenza
attribue la construction des pyramides de Téotihuacan, auroient-ils déjà
consigné leurs annales et leur mythologie dans des recueils de peintures hiéroglyphiques
? Nous n’avons pas assez de données pour répondre à ces questions
importantes ; car les ténèbres qui enveloppent l’origine des peuples Mongols et
Tartares paroissent s’étendre sur toute l’histoire du nouveau continent. .
Le codex borgianus a été commenté par le jésuite Fabrega, originaire du
Mexique. Pendant mon dernier séjour en Italie, en i 8o5 , le chevalier Borgia,
neveu du cardinal de ce nom, eut la bonté de faire venir le manuscrit mexicain
avec son commentaire, de Yeletri à,Rome. Je les ai examinés soigneusement:
les explications du père Fabrega m’ont paru souvent arbitraires et txès-
hasardées. J’ai fait graver une partie des figures qui ont le plus fixé ma
curiosité; j ’ai ajouté à chaque groupe représenté sur la quinzième Planche,
la citation du codex borgianus et celle du manuscrit italien qui doit lui servir
de commentaire.
N.° 1. Un animal inconnu, orné d’un collier et d’une espèce de harnois,
mais percé de dards : Fabrega le nomme le lapin couronné > le lapin sacré.
On trouve cette figure dans plusieurs rituels des anciens Mexicains. D’après
1 Voyages de Pa l l a s (traduction de Paris), Tom. IV, p. 282.
les traditions qui se sont conservées jusqu’à nos jours, c’est un symbole de
l’innocence souffrante : sous ce rapport, cette représentation allégorique rappelle
l’agneau des Hébreux, ou l’idée mystique d’un sacrifice expiatoire destiné à
calmer la colère de la divinité. Les dents incisives, la forme de la tête et de la
queue, paroissent indiquer que le peintre a voulu représenter un animal de la
famille des rongeurs : quoique les pieds à deux sabots, munis d’un ergot qui
ne touche pas la terre, le rapprochent des ruminans, je doute que ce soit un
cavia ou fièvre mexicain : seroit-ce quelque mammifère inconnu qui habite
au nord du Rio Gila, dans l’intérieur des terres, vers la partie nord-ouest de
l ’Amérique ?
Ce même animal, mais avec une queue beaucoup plus longue, me paroît
figurer une seconde fois dans le codex borgianus, à la cinquante-troisième
feuille : le n.° n de ma Planche x v en offre la copie. M. Fabrega prend
cette figure, qui est chargée des vingt hiéroglyphes des jours, pour un cerf
( mazatl) ; le père Rios affirme que c’est un jeu astrologique des médecins,
une peinture qui enseigne que celui qui est né tel ou tel joui' aura mal aux
yeux, à l’estomac ou aux oreilles : on voit en effet que les vingt hiéroglyphes
simples des jours sont distribués aux différentes parties du corps.
Le signe du jour qui commençoit la petite période de treize jours, ou la
demi-lunaispn, étoit regardé comme dominant pour toute cette époque ; de
sorte qu’un homme né le jour dont l’hiéroglyphe étoit un aigle, avoit tout
à craindre ou tout à espérer chaque fois que l’aigle présidoit la semaine de
treize jours. M. Zoega1 paroît adopter l ’explication de Rios; il trouve un rapport
frappant entre cette fiction et les idées ïatromathématiques des Egyptiens.
En jetant les yeux sur nos almanachs, on voit que ces idées absurdes se sont
conservées jusqu’à nos jours, parce qu’il est souvent moins profitable d’instruire
le peuple que d’abuser de sa crédulité. J’ai trouvé cette même figure allégorique,
qui appartient à la médecine astrologique, dans le codex borgianus,
fol. 17 (Mss. n.° 66), et dans le codex anonymus du Vatican, fol. 54»
N.°* m , v , VI, vu. Un enfant nouveau-né est représenté quatre fois : les
cheveux qui s’élèvent comme deux cornes, au sommet de la tête, indiquent
que c’est une fille. L’enfant est allaité; on lui coupe le cordon ombilical ; on
le présente à la divinité; on lui touche les yeux comme signe de bénédiction.
» Z o eg a , p . 525 e t 55i.