Ces tFois chaînes de montagnes se confondent yers le nord, par les
69 et 7° de latitude boréale. Elles forment un seul groupe, au sud de
Popayan, dans la province de Pasto. D’ailleurs il ne faut pas les confondre
avec la division des Cordillères observée par Bouguer et La Condamine,
dans le royaume de Quito, depuis l’équateur jusqu’aux 2° de latitude australe.
La Ville de Santa-Fe de Bogota est située à l ’ouest du Paramo de
Chingasa, dans un plateau qui a deux mille six cent cinquante mètres de
hauteur absolue, et qui se prolonge sur le dos de la Cordillère orientale.
Il résulte de cette structure particulière des Andes , que pour parvenir de
Santa-Fe à Popayan et aux rives du Cauca, il faut descendre la chaîne
orientale, soit par la Mesa et Tocayma, soit par les ponts naturels
d'Icononzo ; traverser la vallée de la rivière de la Madeleine, et passer
la chaîne centrale. Le passage le plus fréquenté est celui du Paramo de
Guanacas, décrit par Bouguer, lôrs de son retour de Quito à Cartbagène
des Indes. En suivant ce chemin, le voyageur traverse la crête de la
Cordillère centrale dans un seul jour, au milieu d’un pays habité. Nous
avons préféré au passage de Guanacas celui de la montagne de Quindiu
ou Quindio, entre les villes d’Ibague et de Cartbago. C’est l ’entrée de
ce passage qui est représentée dans la Planche v . Il m’a paru indispensable
de donner ces détails géographiques, pour faire mieux connoître la position
d’un endroit qu’on chercberoit en vain sur les meilleures cartes de l ’Amérique
méridionale, par exemple sur celle de La Cruz.
La montagne de Quindiu (lat. /¡° 3 6 long. 5° 12Q est regardée comme
le passage le plus pénible que présente la Cordillère des Andes. G est une
forêt épaisse, entièrement inhabitée, que, dans la plus belle saison, on ne
traverse qu’en dix ou douze jours. On n’y trouve aucune cabane, aucun
moyen de subsistance : à toutes les époques de 1 année les voyageurs font
leurs provisions pour un mois, parce qu’il arrive souvent que, par la fonte
des neiges et par la crue subite des torrens, ils se trouvent isolés de manière
à ne pouvoir descendre ni du côté de Cartbago, ni du côté d Ibague. Le
point le plus élevé du cbemin, la Garito del Paramo, a trois mille cinq cents
mètres de hauteur au-dessus des eaux de l’Océan. Comme le pied de la
montagne, vers les rives du Cauca, n’en a que neuf cent soixante, on y
jouit généralement d’un climat doux et tempéré. Le sentier par lequel on
passe la Cordillère est si étroit, que sa largeur ordinaire n’est que de quatre
ou cinq décimètres : il ressemble en grande partie à une galerie creusée à
ciel ouvert. Dans cette partie des Andes, comme presque partout ailleurs, le
roc est couvert d’une couche épaisse d’argile. Les filets d’eau qui descendent
de la montagne ont creusé des ravins de six à sept mètres de profondeur. On
marche dans ces crevasses, qui sont remplies de boue, et dont l ’obscurité est
augmentée par la végétation épaisse qui en couvre l ’ouverture. Le corps des
boeufs, qui sont les bêtes de somme dont on se sert communément dans ces
contrées, a de la peine à passer dans ces galeries qui ont jusqu’à deux mille
mètres de longueur. Si 1 on a le malheur d’y rencontrer ces bêtes de somme,
il ne reste d’autre moyen de lés éviter, que celui de rebrousser cbemin ou
de monter sur le mur de terre qui borde la crevasse, et de se tenir suspendu
en s’accrochant aux racines qui y pénètrent depuis la surface du sol.
En traversant la montagne de Quindiu, au mois d’octobre 1801, à pied
et suivis de douze boeufs qui portoient nos instrumens et nos collections,
nous avons beaucoup souffert des averses continuelles auxquelles nous avons
été exposés les trois ou quatre derniers jours, en descendant la pente occidentale
de la Cordillère. Le cbemin passe par un pays marécageux, couvert
de bambousiers. Les piquans dont sont armées les racines de ces graminées
gigantesques avoient déchiré nos chaussures, de sorte que nous étions forcés,
comme tous les voyageurs qui ne veulent pas se laisser porter à dos d'homme,
daller pieds nus. Cette circonstance, l’humidité continuelle, la longueur
du chemin, la force musculaire qu’il faut employer pour marcher dans une
argile épaisse et bourbeuse, la nécessité de passer à gué des torrens profonds
et dont 1 eau est très-froide, rendent sans doute ce voyage excessivement
fatiguant; mais quelque pénible qu’il soit, il ne présente aucun des dangers
dont la crédulité du peuple alarme les voyageurs. Le sentier est étroit, mais
les endroits où il borde des précipices sont très-rares. Comme les boeufs ont
la coutume de mettre les pieds toujours sur la même trace, il en résulte
qu’il se forme en travers, dans le chemin, une suite de petits fossés séparés
les uns des autres par des proéminences de terre très-étroites. Dans le temps
des fortes pluies, ces proéminences restent cachées sous l’eau, et la marche
du voyageur est doublement incertaine, parce qu’il ignore s’il place le pied
sur la digue ou dans le fossé.