mexicaines des têtes d’une grandeur énorme, un corps excessivement court, et
des pieds qui;, par la longueur des doigts, ressemblent à des griffes d’oiseau:
les têtes sont constamment dessinées de profil, quoique l’oeil soit placé comme
si la figure était vue de face. Tout ceci indique l’enfance de l ’art; mais il ne
faut pas oublier que des peuples qui expriment leurs idées par des peintures,
et qui sont forcés, par leur état social, de faire un usage fréquent de l ’écriture
hiéroglyphique mixte, attachent aussi peu d’importance à peindre correctement
que les savans d’Europe à employer une belle écriture dans leurs manuscrits.
On ne sauroit nier que les peuples montagnards du Mexique appartiennent
à une race d’hommes qui, semblable à plusieurs hordes tartares et mongoles,
se plaît à imiter la forme des objets. Partout à la Nouvelle-Espagne, comme à
Quito et au Pérou, on voit des Indiens qui savent peindre et sculpter ; ils
parviennent à copier servilement tout ce qui s’offre à leur vue : ils ont appris,
depuis l’arrivée des Européens, à donner de la correction à leurs' contours ; mais
rien n’annonce qu’ils soient pénétrés de ce sentiment du beau, sans lequel la
peinture et la sculpture ne peuvent s’élever au-dessus des arts mécaniques. Sous
ce rapport, et sous bien d’autres encore, les habitans du nouveau-monde
ressemblent à tojas les peuples de l’Asie orientale.
On conçoit, d’ailleurs, comment l’usage fréquent de la peinture hiéroglyphique
mixte devoit contribuer à gâter, le goût d’unè nation, en l’accoutumant à
l ’aspect des figures les plus hideuses, des formes les plus éloignées de la justesse
des proportions. Pour indiquer un roi qui, telle ou telle .année, a vaincu.nne
nation voisine, l’Egyptien ^jlans la perfection de son écriture, rangeoit sur la
même ligne un petit nombre d’hiéroglyphes isolés, qui exprimoient toute la
sérié des idées qu’on vouloit .rappeler, et ces caractères consistaient en grande
partie en figures d’objets jngtnimés : le Mexicain, au contraire, pour résoudre
le même problème, était obligé de peindre un groupe de deux personnes, un
roi armé terrassant un guerrier qui porte les armes de la ville conquise. Or, pour
faciliter l ’emploi de ces peintures historiques, on commença bientôt à ne peindre
que ce qui étoit absolument indispensable pour reconnoître les objets. Pourquoi
donner, des bras à une .figure représentée dans une attitude dans laquelle
elle n’en fait aucun usage ? De plus, les formes principales, celles par lesquelles
on indiquoit une:‘divinité, un temple, un sacrifice, devoient être fixées de
bonne heure. L’intelligence des peintures seroit devenue extrêmement difficile.,
si chaque artiste avoit pu varier à son gré la représentation des objets que
l’on étoit obligé de désigner fréquemment. Il suit de là que la civilisation des
Mexicains auroit pu augmenter beaucoup, sans qu’ils eussent été tentés d’abandonner
les formes incorrectes dont on était convenu depuis dès siècles. Un
peuple montagnard et guerrier, robuste, mais d’une laideur extrême, d’après
les principes de beauté des Européens, abruti par le despotisme, accoutumé
aux cérémonies d’un culte sanguinaire, est déjà par lui-même peu disposé à
s’élever à la Culture des beaux arts : l’habitude de peindre au lieu d’écrire,
l’aspect journalier de tant de figures hideuses et disproportionnées, l'obligation
de conserver les mêmes formeSfSans jamais les altérer; toutes ces circonstances
devoient contribuer à perpétuer le mauvais goût parmi les Mexicains.
C’est en vain que nous cherchons sur le plateau de l ’Asie centrale, ou
plus au nord et à l’est, des peuples qui aient fait usage de cette peinture
hiéroglyphique que l’on observe dans le pays d’Anahuac depuis la fin du
septième siècle : les Kamtsôhadales, les Tongouses, et d’autres tribus de la
Sibérie , décrites par Strahlenberg , peignent des figures qui rappellent des
.faits historiques : sous toutes les zones, comme nous l’avons observé plus haut,
l’on trouve des nations plus ou moins adonnées à ce genre de peinture; mais
il y a bien loin d’une planche chargée de quelques caractères, à ces manuscrite
mexicains qui sont tous composés d’après un système uniforme, et que l’on
peut considérer comme les annales de l’empire. Nous ignorons si ce système
de peinture hiéroglyphique a été inventé dans le nouveau continent, eu s’il est
dû à l’émigration de quelque tribu tartare qui connoissoit la durée exacte -de
l’année , et dont la civilisation étoit aussi ancienne que chez les Oïghours du
plateau de Turfan. Si l ’ancien continent ne nous présente aucun peuple qui
ait fait de la peinture un usage aussi étendu que les Mexicains, c’est qu’en
Europe et en Asie nous ne trouvons pas. une civilisation également avancée sans
la connoissance d’un alphabet ou de certains caractères qui le remplacent,
comme les chiffres des Chinois et des Coréens.
Avant l’introduction de la peinture hiéroglyphique, les peuples d’Anahuac
se servoient de ces noeuds et de ces fils à plusieurs couleurs, que les Péruviens
appellent quippus } et que l’on retrouve1 non-seulement chez les Canadiens,
1 L a f i t a u , Moeurs des Sauvages, Tom. I , p . 233, 5o3. Histoire générale des Voyages, Tom. I , Liv. X ,
Ch. V ill. M a r t in i, Histoire de la Chine, p . a i. B o tu rin i, Nueva Historia de la America septentrional, p. 83.
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