pas si chez des peuples qui n’étoient pas très-éloignés de la civilisation, l’aspect
des lieux a fait imaginer des hypothèses sur les premières révolutions du
globe, ou si les grandes inondations de la vallée de Bogota sont assez récentes,
pour que la mémoire ait pu s’en conserver parmi les hommes. Partout des
traditions historiques sont mêlées à des opinions rebgieuses, et il est intéressant
de rappeler ici celles que le conquérant de ces pays, Gonzalo Ximenez de
Quesada, trouva répandues parmi les Indiens Muyscas, Pancbas et Natagaymas,
lorsqu’il pénétra le premier dans les montagnes de Cundinamarca *.
Dans les temps les plus reculés, avant que la lune accompagnât la terre,
dit la mythologie des Indiens Muyscas ou Mozcas, les habitans du plateau
de Bogota vivoient comme des barbares, nus, sans agriculture, sans lois et
sans culte. Tout à coup parut chez eux un vieillard qui venoit des plaines
situées à l’est de la Cordillère de Chingasa : il paroissoit d’une race différente
de celles des indigènes, car il avoit la barbe longue et touffue. Il étoit connu
sous trois noms différens : sous ceux de Bochica, Nemc/uetheba et Zuhè.
Ce vieillard, semblable à Manco-Capac, apprit aux hommes à se vêtir, à
construire des cabanes, à labourer la terre et à se réunir en société. Il amena
avec lui une femme à laquelle la tradition donne encore, trois noms; savoir,
ceux de Chia, Yubecayguaya et Huythaca. Cette femme, d’une rare beauté,
mais d’une méchanceté excessive, contraria son époux dans tout ce qu’il
entreprenoit pour le bonheur des hommes. Par son art magique elle fit enfler
la rivière de Funzha, dont les eaux inondèrent toute la vallée de Bogçta. Ce
déluge fit périr la plupart. des habitans, et quelques-uns seulement s échappèrent
sur la cime des montagnes voisines. Le vieillard irrité chassa la belle
Huythaca loin de la terre; elle devint la lune, qui, depuis cette époque,
commença à éclairer notre planète pendant la nuit. Ensuite Bochica ayant
pitié des hommes dispersés sur les montagnes, brisa d’une main puissante
les rochers qui ferment la vallée, du côté de Canoas et de Tequendama. Il
fit écouler par cette ouverture les eaux du lac de Funzha, réunit de nouveau
les peuples dans la vallée de Bogota, construisit des villes, introduisit le
culte du soleil, nomma deux chefs, entre lesquels il partagea les pouvoirs
ecclésiastique et séculier, et se retira, sous le nom d Idacanzas, dans la
* Voyez L ucas Ferkakdbz P iedrahita, Obispo de Panama, Historia général del Nuevo Reyno de Grenada,
p. 17; ouvrage composé d’après les manuscrits de Quesada.
sainte vallée d’Iraca, près de Tunja.^ù ll vécut;,dans les exercices de la
pénitence la plus austère, pendant l’espace de deux mille ans.
Cette fable indienne, qui attribue au fondateur de l’empire du Zaque
la chute d'eau du Tequendama, réunit un grand nombre de traits que l’on
trouve épars dans les traditions religieuses de plusieurs peuples de l'ancien
continent. On oroit reconnoître le bon et le mauvais principe personnifiés dans
le vieillard Bochica, et dans sa femme Huythaca. Le temps reculé où la lune
n’existoit point encore, rappelle la prétention des Arcadiens sur l’antiquité
de leur origine. L’astre de la nuit est peint comme, un être malfaisant qui
augmente l'humidité sur la terre, tandis que Bochica, fils du soled, sèche le
sol, protège l'agriculture, et devient le bienfaiteur des Muyscas,'comme le
premier Inca fut celui des Péruviens.
Les voyageurs qui ont vu de prés le site imposant de la grande cascade
du Tequendama, ne seront pas surpris que des peuples grossiers aient attribué
une origine miraculeuse à ces rochers qui paraissent avoir été taillés par la
main de l’homme; à ce gouffre étroit dans lequel.se précipite une rivière qui
réunit toutes les eaux de la vallée de Bogota; à ces iris qui brillent des plus
belles couleurs, et qui changent de forme à chaque instant; à cette colonne
de vapeurs qui s’élève comme un nuage .épais, et que l’on reçonnoît à cinq
lieues de distance, en se promenant autour de la ville de Santa-Fe. La sixième
Planche ne peut donner qu’une foible idée de ce spectacle majestueux. S’il est
difficile de décrire les beautés des cascades, il l ’est encore plus de les faire
sentir par lè secours du dessin. L ’impression qu’elles laissent dans 1 ame de
1 observateur dépend du concours de plusieurs circonstances: il faut que le
volume d’eau qui se précipite soit proportionné à la hauteur de la chute,
et que le paysage environnant ait un caractère romantique et sauvage. La
Pissevache et le Staubbach, en Suisse, ont une très-grande élévation, mais
leur masse d’eau n’est pas très - considérable. Le Niagara et la chute du
Rhin, au contraire, offrent un énorme volume d’eau, mais leur hauteur ne
surpasse pas cinquante mètres. Une cascade environnée de collines peu élevées
produit moins d’effet que les chutes d’eau que l ’on voit dans les vallées
profondes et étroites des Alpes, des Pyrénées, et surtout de la Cordillère des
Andes. Outre la hauteur et le volume de la colonne d’eau, outre la configuration
du sol et l’aspèct des rochers, c’est la vigueur et la forme des arbres
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