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V U E S D ES C O R D IL L E R E S ,
renfermoit trenteTsept lunes,, et vingt de ces grandes années formoient un
cycle muysca. Pour distinguer les jours lunaires, les lunes et les années, on
se servoit de séries périodiques dont les dix termes étoient des nombres.
Comme les mots qui désignent ces termes offrent plusieurs particularités très-
remarquables, nous devons entrer ici dans quelques détails sur la langue
de Bogota.
Cette langue, dont l’usage s’est presque entièrement perdu depuis la fin du
dernier siècle, étoit devenue dominante par les victoires du zaque Huncahua,
par celle des Zippas, et par l’influence du grand lama d’Iraca, sur une vaste
étendue du pays, depuis les plaines de l’Ariari et du Rio Meta jusqu’au
nord de Sogamozo. De même que la langue de l’Inca est appelée au Pérou
qquichua, celle des Moscas ou Muyscas est connue dans lé pays sous la
dénomination de chibcha. Le mot muysca, dont mosca paroît une corruption,
signifie homme ou personne mais les naturels-ne l’appliquent généralement
qu’à eux-mêmes. Il en est de cette expression comme du mot qquichua runa
qui désigne un Indien de la race cuivrée, et non un blanc ou descendant
de colons européens. La langue chibcha ou muysca qui , du temps de la
découverte du nouveau continent, étoit, avec celles de l’Inca et la langue
caribe, un des idiomes les plus répandus de l’Amérique méridionale, contraste
singulièrement avec la langue aztèque, si remarquable par la. réduplication
de syllabes tetl, tli et itl. Les Indiens de Bogota ou Bacata (extrémité des,
champs ou du terrain labouré) ne connoissent ni l ni d. Leur langue est
caractérisée par la répétition fréquente des syllabes c h a c h e , chu, comme
par exemple dans chu chi , nous ; hycha chamique-, moi - même-; chigua
chiguitynynga , nous devons battre ; muysca cha chro guy., un homme
estimable; la particule cha, ajoutée à muysca, désignant le sexe masculin.
Les nombres, dont les dix premiers ont été choisis . comme termes des
séries périodiques propres à désigner les grandes et les petites divisions du temps,
sont en langue chibcha : un, ata}, deux, bozha ou bosa; trois, mica; quatre,
mhuyca ou muyhica; cinq, hicsca ou hisca; six, ta ; sept, qhupqa ou cuhupqua;
huit, shuzha ou suhuza; neuf, aca; dix, hubchibica ou uhchihica. Au delà de
dix, les Indiens Muyscas ajoutent le mot quïhicha ou qhicha, qui signifie pied.
Pour désigner onze, douze et treize', ils disent pied un, pied deux , pied trois,
quïhicha ata, quïhicha bosa, quïhicha mica, etc. Ces expressions naïves
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E T MONUMENS D É L ’AM E R IQ U E .
annoncent qu’après avoir compté par les doigts des deux mains', on continue
par les doigts des pieds. -Nous' avons vu plus haut, eu' parlant ^ calen drier
des peuples .de race mexicaine, que le nombré.vingt, qui cr.espo'ud à celui
des doigts des pieds, et des maihs, joue un grand rôle dans la numération
américaine. En langue chibcha, vingt est désigné ou par pied dix, quïhicha
uhchihica, ou par le mot gueta qui dérive, de gue, maison. On Compte
ensuite vingt et un, guetas asaqui ata; vingt-deux,' guetas asaqui bosa; vingt-
trois, guxtas asaqui mica, etc.,- jusque trèntè ou vingt plus ( asaqui) dix ',
guetas asaqui uhchihica; quarante ou dèux-vingts, gue-bosa; soixante^'ou
trois-vingts, gue-mica; quatre-vingts, gue-muyhicà; ïg|nt ou cinq-ringts;
guè-hisca. Nous rappellerons ici que les Aztèques, après 1® unités qui ressem-
hlbient aux clous des Étrusques,, n’avoient de chiffre ou hiéroglyphe simple
que pour vingt, pour le carré de vingt ou quatre cents, et pour le cube
de vingt g huit mille. J’aime à insister sur cette uniformité que présentent
les nations des deux Amériques, dans le premier développement. de: - leurs
idées les plus simples, et dans les méthodes piopres à exprimer graphiquement ‘
des quantités humériques au delà de dix. Cette uniformité est d’autant
plus digne d’attention qu’elle annonce un système de numération, très-différent
de celui que. nous trouvons dans l ’anoieh continent, depuis les Grecs, dont
la notation étoit déjà moins imparfaite que celle des Romains, jusqu’aux
Tibétains,’ aux Indoux et aux Chinois, qui se. disputent l ’honneur-de cette
admirable invention de chiffres dont la valeur change avec la position.
Parmi le grand nombre’ d’idées erronées qui se sdnt répandueï sur les
langues des peuples peu avancés dans la civilisation, il n’en est pas de plus
extravagante que l’assertion de Pauw.et de quelques autres:.écrxvams également
systématiques, d’après laquelle aucun peiipie indigène du nouveau continent
ne sait compter dans son idiome au delà de trois ’. Nous connoissons aujourd’hui
les systèmes numériques de quarante langues américaines, et l’ouvrage seul
de 1 abbé Hervas, Y Arithmétique de toutes les nations, en présente près de
trente. En étudiant ces diverses langués, on observe que, dès que les
peuples sont sortis de leur premier état d’abrutissement, leurs progrès
ultérieurs n établissent presque aucune différence sensible dans leùr manière
d exprimer les quantités. Les Péruviens étoient au moins aussi habiles que
■ *■*•■*» pl’ttesvhpia or la dmiMn, Pmi. 5, soct Tom. n, p.gi 16. (éd.d. i7Sjji ’