Quoique le cycle mexicain commençât par l’année du lapin, tochtli,
comme le cycle tartare commence par l’année du rat, singueri, l’intercalation
ne se faisoit que dans l’année ome acatl : c’est même cette circonstance qui
a engagé les Mexicains à désigner dans leurs peintures un xiuhmolpilli, ou
cycle de cinquante-deux ans, par un faisceau de cannes. Les Mexicains étaient
sortis d’Aztlan en l’année 1064, ou 1 tecpatl} leurs migrations durèrent
vingt-trois ans jusqu’en 1087, ou 11 acatl, où ils arrivèrent à Tlalixco. Or,
quoique la réforme du calendrier eût lieu en 1090, ou l’année 1 tochtli, la
fête du feu nouveau ne fut pourtant célébrée que l’année suivante 2 acatl :
« parce que, dit l’historien indien Tezozomoc *, le dieu tutélaire dü peuple,
Huitzilopochtli, avoit fait sa première apparition le jour 1 tecpatl de l’année
a acatl. »
Quelques auteurs ont soupçonné qu’avant la réforme du calendrier à
Tlalixco les Mexicains avoient intercalé un jour tous les quatre ans ; une
fête du dieu du feu ( Xiuhteuctli) , célébrée avec plus de solennité dans les
années qui portaient le symbole tochtli, paroît avoir donné lieu à cette
opinion. Le comte Carli, dont les' Lettres américaines offrent un mélange
singulier d’observations exactes, d’idées purement ingénieuses et d’hypothèses
incompatibles avec les principes d’une bonne physique et la vraie théorie des
mouvemens célestes, a cru reconnoître, dans les fêtes de neuf jours célébrées
tous les quatre ans, les restes d’une intercalation lunaire. Il suppose que les
prêtres mexicains comptaient, dans une année, douze lunaisons de vingt-neuf
jours huit heures, et que, pour ramener tous les quatre ans ces années de trois
cent cinquante-deux jours, à de véritables années lunaires, ils ajoutaient neuf
jours. Cette supposition est presque aussi hasardée que celle d’après laquelle le
même auteur attribue aux corps célestes l’erreur des anciens calendriers, en
admettant que, quelques milliers d’années avant notre ère, la terre achevoit
sa révolution autour du soleil en trois cent soixante jours % et qu’un mois
lunaire n’étoit que dé vingt-sept jours et demi.
Comme une série périodique de quatre termes était employée pour
distinguer les années renfermées dans un cycle, les Mexicains se voyoient
très-naturellement conduits à des fêtes quatriennales. 1 elles étaient le jeûne
■ Gama, | 7, pag. 21.
1 Lettres américaines, Tom. n, pag. i 53, 161, 167, 333 et 071-
solënnel de cent soixante jours, célébré, à l ’équinoxe du printemps, dans les
petites républiques de Tlascalla, Cholula et Huetxocingo, et l’horrible sacrifice
qui avoit lieu tous les quatre ans à Quauhlitlan, au mois itzcaüi. Dans ce dernier,
les pénitens se scarifioient le corps, en faisant ruisseler le sang à travers des tiges
de roseau qu’ils introduisoient dans les plaies * et qu’ils déposoient dans les
temples, comme des marques publiques de leur dévotion. Ces fêtes, qui rappellent
les pénitences usitées au Tibet et dans l’Inde, se répétaient chaque fois qu’un
même signe présidoit l’année.
En examinant, à Rome, le Codex Borgianus de Yeletri, j’y ai reconnu
le passage curieux2 duquel le jésuite Fabrega a conclu que les Mexicains
connoissoient' la véritable durée de l ’année tropique. On y trouve indiqué,
sur quatre pages, vingt cycles de cinquante-deux ans , ou mille quarante ans :
à la fin de cette grande période, on voit le signe du lapin tochtli précéder
immédiatement, parmi les hiéroglyphes des jours, l’oiseau cozquauhtli; de
manière que sept jours sont supprimés, ceux de l'eau, du chien, du singe,
de l ’herbe malinaUi, de la canne, du tigre et de Y aigle. Le père Fabrega
suppose, dans son Commentaire manuscrit, que cette omission se rapporte à
uneréforme périodique de l’intercalation julienne, parce qu’une soustraction de
huit jours, a la fin d un cycle de mille quarante ans, ramène, par un moyen
ingénieux, une année de 3665’,25o à une année de 365’,243, qui n’est que
de i ' 26", ou de o’,ooio plus grande que la véritable année moyenne, telle que
la donnent les Tables de M. Delambre. Quand on a eu occasion d’examiner
un grand nombre de peintures hiéroglyphiques des Mexicains, et que l’on a
vu le soin extrême avec lequel elles sont exécutées dans les plus petits
détails,-on ne sauroit admettre que l’omission de huit termes, dans une série
périodique, soit due au simple hasard. L ’observation du père Fabrega mérite
sans doute d’être consignée ici, non qu’il soit probable qu’une nation n’emploie
effectivement une réforme du calendrier qu’après de longues périodes de mille
quarante ans, mais parce que le manuscrit de Yeletri semble prouver que son
auteur a eu connoissance de la véritable durée de l’année. S’il existait au
Mexique, à l’arrivée des Espagnols, une intercalation de vingt-cinq-jours
en cent quatre ans, il est à supposer que cette intercalation plus parfaite a
1 Gomara, pag. cx xx i, cxxxn. Torquemada, Tom. n , pag. 307. Gemelli, Tom. v i, pag. 75.
» Cod. Borg., fol. 48-63. Fabrega, M S S .yM è k, pag. 7.. •