l’épaisseur des forêts et une riche végétation les font changer d’habitudes
et de caractère. Il est des contrées entre l’Orénoque, l’Ucajalé
et la rivière des Amazones, où l’homme ne trouve, pour ainsi dire,
d’espace libre que les rivières et les lacs. Fixées au sol sur le bord des
fleuves,- les tribus les plus sauvages environnent leurs cabanes de
bananiers, de jatropha et de quelques autres plantes alimentaires.
Aucun fait historique, aucune tradition ne lient les nations de
l'Amérique méridionale à celles qui vivent au nord de l’isthme de Panama.
Les annales de l ’empire mexicain paraissent remonter jusqu’au sixième
siècle de notre ère. On y trouve les époques des migrations, les causes
qui les ont amenées, les noms des chefs issus de la famille illustre
de Ci tin, qu i, des régions inconnues dAz tlan et de Téocolhuacan,
ont conduit des peuples septentrionaux dans les plaines dAnahuac.
L a fondation de T éno chtitlan, comme celle de Rome, tombe dans
les temps héroïques; et ce n’est que depuis le douzième siècle que les
annales aztèques, semblables à celles des Chinois et des T ib éta ins,
rapportent presque sans interruption les fêtes séculaires, la généalogie
des rois, les tributs imposés aux vaincus, les fondations des villes,
les phénomènes célestes, et jusqu’aux événemens les plus minutieux
qui ont influé sur l’état des sociétés naissantes.
Quoique les traditions n’indiquent aucune liaison directe entre les
peuples des deux Amériques, leur histoire n’en offre pas moins des
rapports frappans dans les révolutions politiques e t religieuses; desquelles
date la civilisation des Aztèques, des Muyscas et des Péruviens.
Des hommes barbus et moins basanés que les indigènes dAnahuac,
de Cundinamarca et du plateau du Couzco, paraissent sans que l’on
puisse indiquer le lieu de leur naissance. Grands-prêtres, législateurs,
amis de la paix et des arts quelle favorise, ils changent tout d’un
coup le ta t des peuples qui les accueillent avec vénération. Quetzalcoatl,
Bochica et Manco-Capac sont les noms sacrés de ces êtres mystérieux.
Quetzalcoatl., vêtu de noir, en habit sacerdotal, vient de Panueo, des
rivages du golfe du Mexique; Bochica, le Boudha des Muyscas, se
montre dans les hautes plaines de Bogota, où il arrive des savanes situées
à l’est des Cordillères. L ’histoire de ces législateurs, que j’ai tâché de
développer dans cet ouvrage, est mêlée de merveilles, de fictions
religieuses et de ces traits qui décèlent un sens allégorique. Quelques
savans ont cru reconnoître dans ces étrangers des Européens naufragés,
ou les descéndans de ces Scandinaves qui, depuis le onzième siècle, ont
visité le Groenland,. T erre-N euve, et peut-être même la Nouvelle-
Ecosse; mais pour peu que Ion réfléchisse sur l’époque des premières
migrations toltèques, sur les institutions monastiques, les symboles
du culte, le calendrier et la forme des monumens de Cholula, de
Sogamozo et du Couzco, on conçoit que ce n’est pas dans le nord
de l ’Europe que Quetzalcoatl, Bochica et Manco-Capac ont puisé
leur code de lois. T out semble nous porter vers l’Asie orientale, vers
des peuples qui ont été en contact avec les Tibétains., les Tartares
Shamanistes, et les Ainos barbus des îles de Jesso et de Sachalin.
En employant dans le cours de ces recherches les mots monumens
du nouveau monde, progrès dans les arts du dessin, culture intellectuelle,
je n’ai pas voulu désigner un état de choses qui indique ce qu’on
appelle un peu vaguement une civilisation trè s- avancée. Rien n’est
plus difficile que de comparer des nations qui ont suivi des routes
différentes dans leur perfectionnement social. Les Mexicains et les
Péruviens ne sauraient être jugés d’après des principes puisés dans
1 histoire des peuples que nos études nous rappellent sans cesse. Us
s éloignent autant des Grecs et des Romains qu’ils se rapprochent des
Étrusques et des Tibétains. Chez les Péruviens, un gouvernement
théocratique, tout en favorisant les progrès de l’industrie, les travaux
publics, et tout ce qui indique, pour ainsi dire, une civilisation en
masse, entravoit le développement des facultés individuelles. Chez les
Grecs, au contraire, avant le temps de Périclès, ce développement si
libre et si rapide ne répondoit pas aux progrès lents de la civilisation