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 le  mercure  avoit  été  observé  au  point  le  plus  bas  dans  le  baromètre.  
 «Nous  étions  partis,  M.  Bouguer  et  moi,  dit  M.  de  La  Condamine  dans  
 son  Introduction  historique',  par  un  assez  beau  temps  :  ceux  que  nous  
 avions  laissés  dans  nos  tentes  nous  perdirent  bientôt  de  vue  dans  les  
 nuages  qui  n’étoient  plus  pour  nous  que  du  brouillard,  depuis  que  nous  
 y   étions  plongés.  Un  vent  froid  et  piquant  nous  couvrit  en  peu  de  temps  
 de  verglas  :  il  nous  fallut,  en  plusieurs  endroits,  gravir  contre  le  rocher,  
 en  nous  aidant  des  pieds  et  des  mains;  enfin  nous  atteignîmes  le  sommet.  
 Là,  nous  voyant  l’un  et  l’autre,  avec  tout  un  côté  de  nos  habits, un sourcil  
 et  une  moitié  de  la  barbe  hérissés  de  petites  pointes  glacées,  nous  nous  
 donnâmes  mutuellement  un  spectacle  singulier.  Le  mercure  ne  se  soutenoit  
 plus  qu’à  quinze  pouces  dix  lignes.  Personne  n’a  vu  le  baromètre  si  bas  dans  
 l’air  libre,  et  vraisemblablement  personne  n’est  monté  à  une  plus  grande  
 hauteur:  nous  étions  247°  toises  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  et  nous  
 pouvons  répondre,  à  quatre  ou  cinq  toises  près,  de  la  justesse  de  cette  
 détermination. » 
 Aujourd’hui  que  nous  cohnoissons  l’influence  qu’exercent - la  température  
 et  le  décroissement  du  calorique  sur  les  opérations  faites  au  moyën  du  
 baromètre,  il  nous  est  permis  de  douter  un  peu  de  l ’exactitude  d’une  
 mesure  dans  laquelle  l’erreur  ne  s’élèveroit  pas  à  ^  de  la  hauteur  totale,  
 quoique  le  calcul  fût  fait  par  la  simple  soustraction  des  logarithmes.  M.  de  
 La  Condamine  n’avoit  pas  d’instrumens, lorsqu’il  visita  le  cratère  de  Rucu-  
 Pichincha.  Si  ce  célèbre  astronome  a  atteint  alors  une  élévation  égale  
 à  celle  d’un  rocher  dont  je  parlerai  dans  un  autre  endroit,  et  sur  lequel  
 j’ai  failli  périr  avec  l’Indien  Philippe  Aidas,  le  26  mai  1802,  il  s est  trouvé,  
 sans  le  savoir, plus  haut1  qu’il  ne  l’étoit  sur la  cime  du  Corazon.  La  hauteur  
 absolue  de  ce  rocher  est,  d’après  la  formule  de  M.  La place,  de  4858  mètres  
 (2490  toises);  elle  excède,  par  conséquent,  de  près  de  quarante  mètres,  
 l’élévation  du  point mesuré  en  1758 par les  Académiciens  françois : au surplus,  
 les  déterminations  de  ces savans sont  toutes affectées  de  l’incertitude  qui règne  
 sur  l’élévation  du  signal  de  Caraburn,  auquel  Bouguer  assigne  2366  mètres  
 (1214  toises),  et Ulloa  1270  mètres  ( 1268  toises). 
 '  Voyage à  Véquateur,  pag. 58.  Cette  excursion  eut lieu  en  juillet  1738. 
 *  Voyez  mon Recueil  ¿’Observations  astronomiques,  Tom.  1, pag.  3o8 .  •