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reconnoît des plumes, des rubans et des fleurs; ces nez, d’une grandeur
extraordinaire, se retrouvent dans les peintures mexicaines conservées à Rome,
à Yeletri et à Berlin. Ce n’est qu’en rapprochant tout ce qui a été produit
à la même époque, et par des peuples d’une origine commune, que l ’on
parvient à se former une idée exacte du style qui caractérise les dilFérens
monumens, si toutefois il est permis d’appeler style les rapports que l’on
découvre entre une multitude de formes fantasques et bizarres.
On pourroit demander encore, si le relief d’Oaxaca ne date pas d’un
temps où, après le premier débarquement des Espagnols, les sculpteurs
indiens avoient déjà connoissance de quelques ouvrages d’art des Européens.
Pour discuter cette question, il faut se rappeler que trois ou quatre ans avant
que Cortès se rendît maître du pays d’Anahuac, et que des religieux missionnaires
empêchassent les naturels de sculpter autre chose que des figures de
saints, Hernandez de'Cordova, Antonio Alaminos et Grixalva, avoient visité
les côtes mexicaines depuis l ’île de Cozumel et le cap Catoche, situé sur la
péninsule de Yucatan, jusqu’à l’embouchure de la rivière de Panuco. Ces
conquérans communiquèrent partout avec les habitans, qu’ils trouvèrent bien
vêtus, réunis dans des villes populeuses, et infiniment plus avancés dans la
civilisation que tous les autres peuples du nouveau continent. Il est probable
que ces expéditions militaires laissèrent entre les mains des habitans, des
croix, des rosaires et quelques images révérées par les chrétiens : il sé pourroit
aussi que ces images eussent passé de main en main, depuis les côtes jusque
dans l ’intérieur des térres dans les montagnes d’Oaxaca; mais est-il permis de
supposer que la vue de quelques figures correctement dessinées ait fait abandonner
des formes consacrées par l’usage de plusieurs siècles? Un sculpteur
mexicain auroit sans doute copié fidèlement l’image d’un apôtre; mais dans
un pays où, comme dans l’Indostan et en Chine, les naturels tiennent
avec’ la plus grande opiniâtreté aux moeurs, aux habitudes et aux arts de leurs
ancêtres, auroient-ils osé représenter un héros ou une divinité aztèque sous
des formes étrangères et nouvelles? D’ailleurs, les tableaux historiques que des
peintres mexicains ont faits après l’arrivée des Espagnols, et dont plusieurs
se trouvent dans les débris de la collection de Boturini, à Mexico, font voir
évidemment que cette influence des arts européens sur le goût des peuples
dé 1 Amérique et sur la correction de leurs dessins, n’a été que très-lente.
ET MONUMENS DE L’AMERIQUE. ^ -
H m’a paru indispensable d’indiquer les doutes que l’on peut élever sur
l’origine du relief d’Oaiaca. Je l'ai fait graver à Rome, d’après le dessin
qui m’en a été communiqué; mais je suis bien éloigné de prononcer sur un
monument aussi extraordinaire, et que je n’ai pas eu occasion.d’examiner
moi-même. L ’architecture du palais de Mitla, I’élegance des grecques et des
labyrinthes dont ses murs sont ornés, prouvent que la civilisation des peuples.
Zapotèques étoit supérieure â celle des habitans de la vallée de Mexico.
D’après cette considération, nous devons être, moins surpris que % relief qui
fixe notre attention ait été trouvé à Oaxaca, l’ancien Huaxyacac, q u i étoit
le chef-lieu du pays des Zapotèques. Si j'osois énoncer mon opinion particulière,
je dirois qu'il me parott plus facile d’attribuer ce monument à des
Américains qui n’avoient point encore eu de communication avec les blancs,
que de supposer que quelque sculpteur espagnol, qui avoit suivi"l'armée de
Cortez, se soit amusé à faire cet ouvrage, en l’honneur du peuple vaincu,
dans le style mexicain. Les-, naturels de . la côte nord-ouest de l ’Amérique’
n’ont jamais été . comptés parmi les peuples très - civilisés, et cependant ils
sont parvenus à exécuter dès dessins dans lesqdels des voyageurs anglois ont
admiré la justesse des proportions *.
Quoi qu’il en soit, il paroît certain que le relief d’Oaxaca représente un
guerrier sorti du combat „ et paré des dépouilles de ses Deux
esclaves sont placés aux pieds du vainqueur. Ce quj frappe le plus dans cette
composition, ce sont les nez, d’une grandeur énorme, qui se trouvent répétés
dans les six têtes vues de profil. Ces nez caractérisent essentiellement les
monumens de sculpture mexicaine. Dans les tableaux hiéroglyphiques conservés
à Vienne, à Rome, à Veletri, ou au palais du vice-roi, à Mexico,
toutes les divinités, les héros, les prêtres même, sont figurés avec de grands
nez aquihns, souvent percés vers la pointe , et ornés de l ’amphisbène, ou
du serpent mystérieux à deux têtes. Il se pourroit que cette physionomie
extraordinaire indiquât quelque race d’hommes très-différente de celle qui
habite aujourd’hui ces contrées, et dont le nez est gros, aplati, et d’une
grandeur médiocre: mais il se pourroit aussi que les peuples aztèques eussent
cru, comme le prince des philosophes ’ , qu’il y a quelque chose de majes-
' Dkoh’s Voyage, p. a4a.
a ¡Platon, de Republicâ, Lib. v.