La vraie pierre des sacrifices., celle qui couronnoit la plate-forme des
téocallis, étoit verte, soit de jaspe, soit peut-être de jade axinien : sa forme
étoit celle d’un parallélipipède de quinze à seize décimètres de longueur, et
d’un mètre de largeur ; sa surface étoit convexe, afin que la victime étendue
sur. la pierre eût la poitrine plus élevée, que le reste du corps. Aucun historien
ne rapporte que cette masse .de pierre verte ait été sculptée : la grande dureté
des roches de jaspe et de jade s’opposoit sans doute à l’exécution d’un bas-
relief. En comparant le bloc cylindrique de porphyre trouvé sûr la grande
place de Mexico, à ces pierres oblongues sur lesquelles la victime étoit jetée
lorsque le topiltzin -s en approchoit, armé d’un couteau d’obsidienne, on
conçoit aisément que ces deux objets n’offrent aucune ressemblance ni de
matière ni de forme.
Il est facile, au contraire, de reconnoître, dans la description que des
témoins oculaires nous ont donnée du témalacatl ou de la pierre sur laquelle
combattoit le prisonnier destiné au sacrifice, celle dont M. Dupé a dessiné le
relief. L ’auteur inconnu de l ’ouvrage publié par Ramusio, sous le titre de
Relaziorie d'un gentiluomo di Fernando Cortez,, dit expressément que .-.le
témalacatl avoit la forme d’une meule de trois pieds de hauteur, ornée tout
autour de figures sculptées, et qu’il étoit assez grand pour servir au combat
de. deux personnes. Cette pierre cylindrique couronnoit un tertre de trois
mètres d’élévation. Les prisonniers les plus distingués par leur courage ou
par leur rang étoient réservés pour le sacrifice des gladiateurs. Placés sur
le témalacatl > entourés d’une foule immense de spectateurs-, ils devoient
combattre successivement avec six guerriers mexicains : étoient - ils assez
heureux, pour les vaincre, on leur accordoit la liberté, en leur permettant
de retourner dans leur patrie; si, au contraire, le prisonnier gladiateur suc-1-
comboit sous les coups d’un de ses adversaires, alors un prêtre, appelé
Ch.alch.iuh.tepeh.ua, le traînoit mort ou vivant à l ’autel pour lui arracher le
coeur.
Il se pourroit très-bien que la pierre qui a été trouvée dans les fouilles
faites autour de la cathédrale, fut ce même témalacatl que le gentiluomo
de Cortez assure avoir vu près de l’enceinte du grand téocalli de Mexitli.
Les figures du relief ont près de soixante décimètres de hauteur. Leur
chaussure est très-remarquable: le vainqueur a le pied gauche terminé par
une espèce de bec qui paraît destiné à sa défense. On peut être surpris de
trouver cette arme, à laquelle je ne connois rien d’analogue .chez d’autres
nations., seulement au pied gauche. Cette même figure, dont le corps trapu
rappelle le premier style étrusque, tient le vaincu par le flasque enle serrant
de la main gauche. Dans un grand nombre de peintures mexicaines qui
représentent des batailles, on voit des guerriers tenant aussi des armes dans
la main gauche : ils sont représentés agissant plutôt de cette main que de la
main droite.
On pourroit croire, au premier coup d’oeil, que cette bizarrerie tient à
des habitudes particulières ; mais en examinant un grand nombre d’hiéroglyphes
historiques des Mexicains, on reconnoît que leurs peintres plaçoient
les armes tantôt dans la main droite, tantôt dans la main gauche, selon qu’il
en résulte une disposition plus symétrique dans les groupes : j’en ai trouvé des
exemples frappans en feuilletant \e codex anonymus du Vatican, dans lequel
on trouve des Espagnols qui portent l’épée dans la gauche '. Cette bizarrerie
de confondre la droite avec la gauche caractérise d’ailleurs le commencement
de l’art : on l’observe aussi dans quelques reliefs égyptiens; on trouve même
dans ces derniers des mains droites attachées à des bras, gauches, d’où résulte
que les pouces paroissent placés à l’extérieur des mains. De savans antiquaires
ont cru reconnoître quelque chose de mystérieux dans cet arrangement
extraordinaire, que M. Zoega n’attribue qu’au simple caprice ou à la négligence
de 1 artiste. Je doute fort que ce bas-relief qui entoure le témalacatls et tant
d autres sculptures en porphyre basaltique, aient été exécutés en n’employant
que des outils de jade ou d’autres pierres très-dures : il est vrai que j ’ai
cherché en vain à me procurer quelque ciseau métallique des anciens Mexicains,
semblable à celui que j ’ai rapporté du Pérou ; mais Antonio de Herera,
dans le dixième livre de son Histoire des Indes Occidentales, dit expressément
que les habitans de la province maritime de Zacatollan, située entre Acapulco
et Colima, préparoient deux sortes de cuivre, dont l ’un étoit dur ou tranchant,
et 1 autre malléable : le.cuivre dur servoit pour fabriquer des haches, des
armes et des instrumens d’agriculture; le cuivre malléable étoit employé pour
des vases, des chaudières et d’autres ustensiles nécessaires dans l’économie
domestique. Or, la côte de Zacatollan ayant été sujette aux rois d’Anahuac, il
1 Cod. val. a non. , fol. 86.
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