76. Nous pourrons être plus précis en minéralogie,
et dire que l’espèce est la réunion de tous les individus
dont la composition est la même. Ainsi l’eau , le nitre ,
le sel marin, la chaux carbonatée, le plomb phosphaté,
le mercure sulfuré , le mercure argentai, &c. sont des
espèces différentes bien déterminées.
77. Cette définition a été proposée par M. Dolomieu
et adoptée en partie par M. Haüy ; nous l’admettrons
avec les modifications que l’état actuel de nos connois-
sances nous forcera d’y apporter. Nous devons maintenant
la développer, essayer de lever les difficultés assez
nombreuses qui se rencontrent dans son application, et
chercher à répondre aux objections qu’on a faites contre
cette manière précise de déterminer l’espèce.
78. I. On a dit qu’il n’y avoit pas d’individus en
minéralogie , parce qu’on a voulu y voir des individus
analogues à ceux des règnes animal et végétal, et comparer
deux choses aussi différentes que les corps organisés
et les corps bruts. Mais en examinant les minéraux
d’une manière absolue , on verra qu’on peut y
admettre des individus.
Un individu est ce qui ne peut être divisé sans être
détruit ; les échantillons de minéraux homogènes, et tous
les fragmens que nous pouvons voir étant susceptibles
d’être divisés en parties semblables entre elles, et au tout
dont elles proviennent (11), sont multipliés, mais ne sont
point détruits par cette division. Ce n’est donc pas dans
un échantillon, pas même dans un cristal, qu’il faut chercher
l’individu minéralogique; mais la molécule intégrante
( i5, note 2 ), telle quelesphysiciensetleschimistes
la conçoivent, ne pouvant être divisée sans être décomposée,
c’est-à-dire détruite, peut être regardée comme le
véritable individu, minéralogique ; elle paroîl remplir
toutes les conditions attachées à ce mot. En effet, il y a
peu de doute que si nous avions des organes assez délicats
pour appercevoir les molécules intégrantes d’un corps,
nous les verrions toutes, non-seulement semblables,
mais égales entre elles, et par-là même d’une ressemblance
beaucoup plus parfaite que celle qui existe entre
les individus, parmi les animaux et parmi les végétaux.
79- Les échantillons ou les fragmens visibles des
m/néraux, sont donc des agrégations formées de molécules
intégrantes ou d'individus, tantôt tous semblables
comme dans les minéraux parfaitement homogènes ,
tantôt différens les uns des autres, parce qu’ils appartiennent
à des espèces différentes, comme dans les minéraux
mélangés ou souillés de matières étrangères '.
Nous venons de déterminer ce qu’on doit entendre
par espèce en minéralogie (76), et nous avons fait voir
que l’espèce comprend des individus parfaitement caractérisés
, puisqu’ils sont tous exactement égaux et semblables
, et qu’ils ne peuvent être divisés sans être détruits.
Continuons à développer les moyens de délermi-
Les pierres mélangées sont pour nous ce que seroit un polypier
composé tantôt d’nne seule espèce de polype, tantôt de plusieurs
espèces, vivant entrelacées. Si nous n’avions pas des yeux propres à
distinguer les individus qui composent ces polypiers, nous n’y verrions
que des masses semblables par leur couleur , par leur aspect,
par leur cassure, mais variables par leur forme et par leur grosseur
, et susceptibles d’être divisées sans être détruites , tant que
cette division n’agira pas sur les polypes.
On doit seulement remarquer qu’en minéralogie on n’a jamais vu
les individus isolés ; ils sont toujours agrégés. Cette agrégation des
individus paroît même être une suite de leur simplicité. Ainsi les
individus minéraux, qui sont les plus simples de tous , sont constamment
agrégés , comme on vient de le Faire remarquer. Les végétaux
qui paroissent être les corps les plus simples après les minéraux ,
sont des agrégations d’individus composés chacun de toutes les parties
essentielles à leur existence. Ces individus agrégés sont même susceptibles
dêtre séparés jusqu’à un certain point, sans être détruits,
comme 1 observation et l’expérience des boutures le prouvent.
Parmi les animaux, les individus les plus simples, tels que les
polypes et quelques vers , s’agrègent, soit en se liant sur une tige
commune, soit en se rapprochant seulement, tandis que les animaux
d un ordre plus élevé , les quadrupèdes, les oiseaux , sont des individus
reels, parfaitement simples et isolés, qu’on ne peut diviser
en aucune manière sans opérer leur destruction totale, ou au moins
partielle.