74 H i s t o i r e Na t u r e l l e .
d’harmonie du nombre trois, ou du triangle, celui qui
engendre, celui dans lequel on engendre, & celui qui eft
engendré, La fucceffion des individus dans les el'pèces
n’eft qu’une image fugitive de l’éternité immuable de cette
harmonie triangulaire, prototype univerfel de toutes les
exiftences & de toutes les générations ; c’eft pour cela
qu’il a fallu deux individus pour en produire un troifième,
c ’eft-là ce qui conftitue l’ordre effentiel du père & de la
mère, & la relation du fils.
C e Philofophe eft un peintre d’idées , c ’eft une ame
qui, dégagée de la matière, s’élève dans le pays des abf-
traélions, perd de vue les objets fenfibles, n’aperçoit, ne
contemple & ne rend que l’intelleéluel. Une feule caufe,
un feul but, un feul moyen, font le corps entier de fes
perceptions, Dieu comme caufe, la perfeélion comme
but, les repréfentations harmoniques comme moyens;
quelle idée plus fublime ! quel plan de philofophie plus
fimple ! quelles vûes plus nobles ! mais quel vuide ! quel
défert de fpéculations ! Nous ne fommes pas en effet de
pures intelligences, nous n’avons pas la puiffance de donner
une exiftence réelle aux objets dont notre ame efl
remplie, liez à la matière, ou plutôt dépendans de ce qui
caufe nos fenfations, le réel ne fera jamais produit par
fabftrait. Je répons à Platon dans fa langue : L e Créateur
réalife tout ce qu’i l conçoit, fe s perceptions engendrent l exif-
tence; l ’être créé n’aperçoit au contraire qu’en retranchant
à la réalité, èr le néant ejl la produélion de fe s idées.
Rabaiffons-nous donc fans regr et à une philofophie plus
matérielle, & en nous tenant dans la fphère où la Nature
femble nous avoir confinez, examinons les démarches téméraires
& le vol rapide de ces efprits qui veulent en fortir.
Toute cette philofophie Pythagoricienne, purement intel-
leéluelle, ne roule que fur deux principes, dont l’un efl
feux & l ’autre précaire; ces deux principes fontlapuiffence
réelle des abftraélions, & l’exiftence aétuelle des caufes
finales. Prendre les nombres pour des êtres réels, dire que
1 unité numérique eft un individu général, qui non feulement
repréfente en effet tous les individus, mais même qui
peut leur communiquer l’exiftence, prétendre que cette
unité numérique a de plus l’exercice aéluel de la puiflance
d ’engendrer réellement une autre unité numérique à peu
près fèmblableà elle-même, conftituer par-là deux individus,
deux côtés d’un triangle , qui ne peuvent avoir
de lien & de perfeélion que par le troifième côté de ce
triangle, par un troifième individu qu’ils engendrent né-
ceffairement, regarderies nombres, les lignes géométriques,
les abftraélions métaphyfiques, comme des caufes
efficientes, réelles & phyfiques,' en faire dépendre la
formation des élémens, la génération des animaux & des
plantes, & tous les phénomènes de la Nature, me paroît
être le plus grand abus qu’on pût faire delà raifon, & le
plus grand obftacle qu’on pût mettre à l ’avancement de
nos connoiffances. D ’ailleurs, quoi de plus feux que de
pareilles fuppofitionsî J ’accorderai, fi l’on veut, au divin
Platon & au prefque divin Malebranche ( car Platon l’eût
regardé comme fon fimulacre en philofophie) que la
K, j