cette chofe qui nous affeéte d’une manière toute différente
de ce qu’elle eft, ou de ce qu’elle a été, peut être
quelque chofe d’affez réel pour que nous ne puiflïons pas
douter de fon exiftence.
Cependant nous pouvons croire qu’il y a quelque choie
hors de nous, mais nous n’en fommes pas fûrs, au lieu
que nous fommes affurez de l’exiltence réelle de tout ce
qui eft en nous ; celle de notre ame eft donc certaine, &
celle de notre corps paraît douteufe, dès qu’on vient à
penfer que la matière pourrait bien n’être qu’un mode
de notre ame, une de fes façons de voir ; notre ame
voit de cette façon quand nous veillons, elle voit d’une
autre façon pendant le fommeil, elle verra d’une manière
bien plus différente encore après notre mort, & tout ce
qui caufè aujourd’hui fes fenfations, la matière en général,
pourroit bien ne pas plus exifter pour elle alors que notre
propre corps qui ne fera plus rien pour nous.
Mais admettons cette exiftence de la matière , &
quoiqu’il foit impoffible de la démontrer, prêtons-nous
aux idées ordinaires, & difons qu’elle exifte, & qu’elle
exifte même comme nous la voyons ; nous trouverons,
en comparant notre ame avec cet objet matériel, des
différences fi grandes, des oppofitions fi marquées, que
nous ne pourrons pas douter un inftant qu’elle ne foit
d’une nature totalement différente, & d’un ordre infiniment
fupérieur.
Notre ame n’a qu’une forme très-fimple, très-générale
, très-conftante ; cette forme eft la penfée, il nous eft
impoffible d’apercevoir notre ame autrement que par la
penfée ; cette forme n’a rien de divifible, rien d’étendu,
rien d ’impénétrable, rien de matériel, donc le fujet de
cette forme, notre ame , eft indivifible & immatérielle :
notre corps au contraire & tous les autres corps ont
plufieurs formes, chacune de ces formes eft compofée,
divifible, variable, deftruélible, & toutes font relatives
aux différens organes avec lefquels nous les apercevons ;
notre corps, & toute la matière, n’a donc rien de confiant,
rien de réel, rien de général par çù nous puiflïons la
faifir & nous aflurer de la connoître. Un aveugle n’a nulle
idée de l ’objet matériel qui nous repréfente les images des
corps; un lépreux dont la peau ferait infenfible, n’auroit
aucune des idées que le toucher fait naître ; un fourd
ne peut connoître les fons; qu’on détruifefuccefïïvement
ces trois moyens de fenfatiôn dans l ’homme qui en eft
pourvû, lame n’en exiftera pas moins, fes fondions intérieures
fubfifteront, & la penfée fe manifeftera toûjours
au dedans de lui - meme : ôtez au contraire toutes ces
qualités à la matière, ôtez-luifes couleurs, fon étendue,
fa folidité & toutes les autres propriétés relatives à nos
fens-, vous l ’anéantirez ; notre ame eft donc impériffable,
& la matière peut & doit périr.
II en eft de même des autres facultés de notre ame
comparées a celles de notre corps &. aux propriétés les
plus effentielfes a toute mattere. L ame veut & commande,
le corps obéit tout autant qu’il le peut; lame s’unitinti-
mement a tel objet qu il lui plaît, iadiftance, la grandeur,
I i i ij