Lorfque l’ame vient s’unir à notre corps avons-nous
un piaifir excelfif, une joie vive & prompte qui nous tranf-
porte & nous ravilfe î non , cette union fe fait fans que
nous nous en apercevions, la défunion doit s’en faire de
même fans exciter aucun fentiment; quelle raifon a-t-on
pour croire que la féparation de l ’ame & du corps ne puilfe
fe faire làns une douleur extrême! quelle caufe peut produire
cette douleur, ou l’occafionner! lafera-t-on réfider
dans l’ame ou dans le corps ! la douleur de I’ame ne peut
être produite que par la penfée, celle du corps eft toujours
proportionnée à fa force & à là foiblelfe ; dans l’inftant de
la mort naturelle le corps eft plus foible que jamais, il ne
peut donc éprouver qu’une très-petite douleur, lî même
il en éprouve aucune.
Maintenant fuppofons une mort violente, un homme,
par exemple, dont la tête eft emportée par un boulet de
canon, foufire-t-il plus d’un inftant ! a-t-il dans l’intervalle
de cet inftant une fuccelfion d’idées alfez rapide pour que
cette douleur lui paroifle durer une heure, un jour, un
fiècle ! c ’eft ce qu’ il faut examiner.
J ’avoue que la fuccelfion de nos idées eft en effet,
par rapport à nous, la feule melîire du temps, & que nous
devons le trouver plus court ou, plus long, félon que nos
idées coulent plus uniformément ou fe croifent plus irrégulièrement,
mais cette mefure a une unité dont la grandeur
n’eft point arbitraire ni indéfinie:, elle eft au contraire
déterminée par laNature même, & relative à notre organî-
fation : deux idées qui fe fuccèdent, ou qui font feulement
différentes l’une de l’autre, ont néceflàirement entr’elles
un certain intervalle qui les fépare ; quelque prompte que
;foitla penfée, il faut un petit temps pour qu’elle foit fuivie
d’une autre penfée , cette fucceffion ne peut fie faire dans
un inftant indivifible; il en eft de même du fentiment, il
faut un certain temps pour palfer de la douleur au piaifir,
ou même d’une douleur à une autre douleur; cet intervalle
de temps qui fépare nécelfairement nos penfées ,
nos.fentimens, eft l’unité dont je parle, il ne peut être ni
extrêmement long, ni extrêmement court, il doit même
être à peu près égal dans :fà durée, puifiqu’elle dépend de
la nature de notre ame & de l ’organifation de notre corps
dont les mouvemens ne peuvent avoir qu’un certain degré
de vîtelTe déterminé; il ne peut donc y avoir dans le
même individu des fuccelfions d’idées plus ou moins rapides
au degré qui feroit nécelfaire pour produire cette
différence énorme de durée qui d’une minute de douleur
feroit un fiècle, un jour, une heure.
Une douleur très-vive, pour peu qu’elle dure, conduit
à l’évanouilfement ou à la mort, nos organes n’ayant
qu’un certain degré de force ne peuvent réfifter que pendant
un certain temps à un certain degré de douleur, fi
elle devient exceffive elle celfe, parce qu’elle eft plus forte
que le corps, qui ne pouvant la lupporter, peut encore
moins la tranfmettre à l ’ame avec laquelle il ne peut cor-
relpondre que quand les organes agilfent ; ici i’aétion des
organes celfe, le fentiment intérieur qu’ils communiquent
à i’ame doit donc celfer aulfi.