578 H i s t o ir e Na t u r e l l e
circulation & en grand mouvement, pour peu qu’elles
deviennent ftagnantes par le trop grand rétréciflement des
vai fléaux, ou que par leur relâchement forcé-elles fe répandent
en s’ouvrant de fauffes routes, elles ne peuvent
manquer de fe corrompre & d’attaquer en même temps les
parties les plusfoibles des folides, ce qui produit fouvent
des maux fans remède, ou du moins elles communiquent
à toutes les parties folides qu’elles abreuvent, leur mau-
vaife qualité, ce qui doit en déranger le tiftu & en changer
la nature ; ainfi les moyens de dépérilTement fe multiplient,
le mal intérieur augmente de plus en plus& amène
à la hâte l’inftant de la deftruélion.
Toutes les caufes de dépérilTement que nous venons-
d’indiquer, agiffent continuellement fur notre être matériel
& le conduilent peu à peu à là diflblution ; la mort,
ce changement d’état fi marqué, fi redouté, n’eft donc
dans la Nature que la dernière nuance d’un- état précédent
; la fucceïïion néceflaire du dépérilTement de notre
corps amène ce degré, comme tous les autres qui ont
précédé; la vie commence à s’éteindre long-temps avant
qu’elle s’éteigne entièrement, & dans le réel il y a peut-
être plus loin de la caducité à la jeunelfe, que de la décrépitude
à la mort, car on ne doit pas ici confidérer la
vie comme une chofe ablolue, mais comme une quantité
fufceptible d’augmentation & de diminution. Dans l’inf-
tant de la formation du foetus cette vie corporelle n’eft
encore rien ou prefque rien, peu à peu elle augmente, elle
s ’étend, elle acquiert de la confiftance à mefure que le
corps croît, fe développe & fe fortifie; dès qu’il commence
à dépérir, fa quantité de vie diminue; enfin lorf-
qu’il fe courbe, fe defsèche & s’afîàiflfe, elle décroît, elle
fe reflerre, elle fe réduit à rien, nous commençons de vivre
par degrés & nous finiiïons de mourir comme nous
commençons de vivre.
Pourquoi donc craindre la mort, fi l ’on a aflez bien
vécu pour n’en pas craindre les fuites ! pourquoi redouter
cet inftant, puifqu’il eft préparé par une infinité d’autres
inftans du même ordre, puifque la mort eft auftï naturelle
que la vie, & que l’une & l’autre nous arrivent de la même
façon fans que nous le fendons, lans que nous publions
nous en apercevoir ! qu’on interroge les Médecins & les
Miniftres de l’E'glife, accoûtumez à obferver les a étions
des mourans, & à recueillir leurs derniers fentimens, ils
conviendront qu’à l’exception d’un très-petit nombre de
maladies aigues, où l’agitation caufée par des mouvemens
convulfifs femble indiquer les foufïrances du malade,
dans toutes les autres on meurt tranquillement, doucement
& lans douleur; & même ces terribles agonies effraient
plus les fpeétateurs, qu’elles ne tourmentent le
malade, car combien n’en a-t on pas vû qui, après avoir
été à cette dernière extrémité, n’avoient aucun fouvenir
de ce qui s’étoit pafle, non plus que de ce qu’ils avoient
fenti ! ils avoient réellement celfé d’être pour eux pendant
ce temps, puifqu’ils font obligez de rayer du nombre
de leurs jours tous ceux qu’ils ont paflëz dans cet état
duquel il ne leur refte aucune idée.
D d d d ij