4 3 8 H i s t o i r e N a t u r e l l e
auffi-bien que nous connoiffons les nôtres, & comme il
n’eft pas pofïible que nous ayions jamais connoilTance de
ce qui fe paffe à l’intérieur de l ’animal, comme nous ne
fçaurons jamais de quel ordre, de quelle efpèce peuvent
être fes l'enfations relativement à celles de l ’homme, nous
ne pouvons juger que par les effets, nous ne pouvons que
comparer les réfultats des opérations naturelles de l ’un &
de l’autre.
Voyons donc ces réfultats en commençant par avouer
toutes les reffemblances particulières , & en n’examinant
que les différences, même les plus générales. On conviendra
que le plus flupide des hommes fuffit pour
conduire le plus fpirituel des animaux, il le commande
& le fait fervir à fes ufages, & c ’efl moins par force &
par adreffe que par fupériorité de nature, & parce qu’il a
un projet raifonné, un ordre d’aétions & une fuite de
moyens par lefquels il contraint l’animal à lui obéir, car
nous ne voyons pas que les animaux qui font plus forts &
plus adroits, commandent aux autres & les faffent fervir
à leur ufage ; les plus forts mangent les plus foibles, mais
cette aétion ne fuppofe qu’un befoin, un appétit, qualités
fort différentes de celle qui peut produire une fuite d’actions
dirigées vers le même but. Si les animaux étoient
douez de cette faculté,n’ en verrions-nous pas quelques-uns
prendre l’empire fur les autres & les obliger à leur chercher
la nourriture, à les veiller, à les garder, à les foulager
lorfqu’ils font malades ou bleffez ! or il n’y a parmi tous
les animaux aucune marque de cette fubordination, aucune
apparence que quelqu’un d’entr’eux connoiffe ou fente
la fupériorité de fa nature fur celle des autres ; par confé-
quent on doit penfer qu’ils font en effet tous de même
nature, & en même temps on doitconclurre que celle de
l ’homme efl non feulement fort au deffus de celle de
l ’animal, mais qu’elle efl auffi tout-à-fait différente.
L ’homme rend par un figne extérieur ce qui fe paffe
au dedans de lui, il communique fa penfée par la parole,
ce figne efl commun à-toute l ’efpèçe humaine; fhomme
fauvage parle comme l ’homme policé , & tous deux
parlent naturellement, & parlent pour fe faire entendre :
aucun des animaux n’a ce figne de la penfée, ce n’efl
pas, comme on le croit communément, faute d’organes;
la langue du finge a paru aux Anatomifles * auffi parfaite
que celle de l ’homme: le finge parieroit donc s ’il penfoit;
fi l’ordre de fes penfées avoit quelque, chofe de commun
avec les nôtres, il parieroit notre langue, & en fuppofant
qu’il n’eût que des penfées de finge, il parieroit aux autres
linges ; mais on ne les a jamais vus s’entretenir ou discourir
enfemble; ils n’ont donc pas même un ordre, une
fuite de penfées à leur façon, bien-loin d’en avoir de
femblables aux nôtres ; il ne fe paffe à leur intérieur rien
de fuivi, rien d’ordonné, puifqu’ils n’expriment rien par
des fignes combinez & arrangez ; ils n’ont donc pas la
penfée, même au plus petit degré.
Il efl fi vrai que ce n’efl pas faute d’organes que les
* Voyez les Defcriptions de M. Perrault dans fon Hirtoire des
Animaux.