Pour rendre ceci fenfible, faifons le calcul de ce qu’un
feul germe pourrait produire, fi l’on mettoit à profit toute
fa puiffance productrice ; prenons une graine d’orme qui
ne pèfe pas la centième partie d’une onc e , au bout de
cent ans elle aura produit un arbre dont le volume fera,
par exemple, de dix toifes cubes; mais dès la dixième
année cet arbre aura rapporté un millier de graines, qui
étant toutes femées produiront un millier d’arbres, lef-
quels au bout de cent ans auront aulfi un volume égal à
dix toifes cubes chacun, ainfi en cent dix ans voilà déjà
plus de dix milliers de toifes cubes de matière organique;
dix ans après il y en aura dix millions de toifes, fans y
comprendre les dix milliers d’augmentation par chaque
année, ce qui ferait encore cent milliers de plus, & dix
ans encore après il y en aura 10000000000000 de toifes
cubiques ; ainfi en cent trente ans un feul germe produirait
un volume de matière organifée de mille lieues cubiques,
car une lieue cubique ne contient que 10 000000000
toifes cubes, à très-peu près, & dix ans après un volume
de mille fois mille, c ’e ft-à -d ire , d’un million de lieues
cubiques, & dix après un million de fois un million, c ’ eft-
à -d ire , 10 00000000000 lieues cubiques de matière
organifée; en forte qu’en cent cinquante ans le globe
terreftre tout entier pourrait être converti en matière
organique d’une feule efpece. La puiffance aétive de la
Nature ne ferait arrêtée que par la réfiftance des matières,
qui n’étant pas toutes de i’efpèce qu’il faudrait qu’elles
fuffent pour être fufceptibies de cette organifation, ne fe
convertiraient pas en fubftance organique, & cela même
nous prouve que la Nature ne tend pas à faire du brut,
mais de l’organique, & que quand elle n’arrive pas à ce
but , ce n’eft que parce qu’il y a des inconvéniens qui
s’y oppofent. Ainfi il paraît que fon principal deffein eft
en effet de produire des corps organifez, & d’en produire
le plus qu’ il eft poffible, car ce que nous avons dit
de la graine d’orme peut fe dire de tout autre germe, & il
ferait facile de démontrer que f i , à commencer d’aujourd’hui,
on faifoit éclorre tous les oeufs de toutes les poules,
& que pendant trente ans on eût foin de faire éclorre de
même tous ceux qui viendraient, fans détruire aucun de
ces animaux, au bout de ce temps il y en aurait affez pour
couvrir la furface entière de la terre, en les mettant tous
près les uns des autres.
En réfléchiffant fur cette efpèce de calcul on fe fami-
liarifera avec cette idée finguiière, que l ’organique eft
l ’ouvrage le plus ordinaire de la Nature, & apparemment
celui qui lui coûte le moins ; mais je vais plus loin, il me
paraît que la divifion générale qu’on devrait faire de la
matière, eft matière vivante & matière morte, au lieu de
dire matière organifée & matière brute; le brut n’eft que
le mort, je pourrais le prouver par cette quantité énorme
de coquilles & d’autres dépouilles des animaux vivans
qui font la principale fubftance des pierres, des marbres,
des craies & des marnes, des terres, des tourbes, & de
plufieurs autres matières que nous appelions brutes, & qui
ne font que les débris & les parties mortes d’animaux ou