C e que je viens de dire eft peut-être plus que fuffilànt
pour prouver que l’inftant de la mort n’eft point accompagné
d’une douleur extrême ni de longue durée; mais
pour raflurerles gens les moins courageux, nous ajouterons
encore un mot. Une douleur exceffive ne permet
aucune réflexion, cependant on a vû fouvent -des
Agnes de réflexion dans le moment même d’une mort
violente ; Iorfque Charles XII reçut le coup qui termina
dans un inftant fes exploits & fa vie, il porta la main fur
fon épée, cette douleur mortelle n’étoit donc pas e x ce ffive,
puifqu’elle n’excluoit pas la réflexion; il fe fentit
attaqué, il réfléchit qu’il falloit fe défendre, il ne fouffrit
donc qu’autant que l’on fouffre par un coup ordinaire :
on ne peut pas dire que cette action ne fût que le réfultat
d ’un mouvement méchanique, car nous avons prouvé à
l ’article des paflions (Voye^ ci-devant la Defcription de
l'Homme) que leurs mouvemens, même les plus prompts,
dépendent toûjours de la réflexion, & ne font que dés
effets d’une volonté habituelle de famé.
Je ne me fuis un peu étendu fur ce fùjet quepour tâcher
de détruire un préjugé II contraireau bonheur de l’homme ;
j’ai vû des viétimes de ce préjugé, des perfonnes que la
frayeur de la mort a fait mourir en effet, des femmes fur-
tout que la crainte de la douleur anéantiffoit ; ces terribles
alarmes femblent même n’être faites que pour des perfonnes
élevées & devenues par leur éducation plus fenfibles
que les autres, car le commun des hommes, fur-tout ceux
de la campagne, voient la mort fans effroi.
La
La vraie philofophie eft de voir les chofés telles qu’elles
font; le fèntiment intérieur ferait toûjours d’accord avec
cette philofophie, s’il n’étoit perverti-par les illuflons de
notre imagination & par l ’habitude malheureufe que nous
avons prife de nous forger des phantômes de douleur & de
plaifir : il n’y arien de terrible ni rien de charmant que de
loin, mais pour s’en affurer, il faut avoir le courage ou la
fageflè de voir l’un & l’autre de près.
Si quelque;chofe peut confirmer ce que nous avons dit
au fujet delà ceffation graduelle de la vie, & prouver encore
mieux que fà fin n’arrive que par nuances, fouvent infenfi-
bles, c’eft l’incertitude des fignes de la mort ; qu’on con-
fulte les recueils d’obférvations, & en particulier celles que
M .rs Winflow & -Bruiner nous ont données fur ce fujet, on
fera convaincu qu’entre la mort & la vie il n’y a fouvent
qu une nuance fi foibfe, qu’on ne peut l’apercevoir même
avec toutes les lumières de l ’art de la Médecine & de l’ob-
fervation la plus attentive : félon eux « le coloris du vifage,
la chaleur du corps, la moliefle des parties flexibles font des a
fignes incertains d’une vie encore fubfiftante , comme la «
pâleur du vifàge, le froid du corps, la raideur des extrémi- «
tés , la ceffation des mouvemens & l ’abolition des fens «
externes font des fignes très-équivoques d’une mort cer- «
taine » t il en eft de même delà ceffation apparente du pouls
& de la refpiration, ces mouvemens font quelquefois telles
ment engourdis & affoupis , qu’il n’eft pas poffible de les
apercevoir ; on approche un miroir ou une lumière de la
bouche du malade,fi le miroir fe ternit, ou fi la lumière
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