L ’exiftence de notre ame nous eft démontrée, ou
plutôt nous ne fàifons qu’u n , cette exiflence & nous :
être & penfer, font pour nous la même chofe , cette
vérité eft intime & plus qu’intuitive, elle efl; indépendante
de nos fens, de notre imagination, de notre mémoire,&
de toutes nos autres facultés relatives. L ’exiftence
de notre côrps & des autres objets extérieurs eft dou-
teufe pour quiconque raifonne fàns préjugé, car cette
étendue en longueur, largeur & profondeur, que nous
appelions notre corps, & qui femble nous appartenir de
fi près, qu’eft- elle autre chofe finon un rapport de nos
fens! les organes matériels de nos fens, que font-ils eux-
mêmes , finon des convenances avec ce qui les affeéte !
& notre fens intérieur, notre ame a-t-elle rien de fem-
blable, rien qui lui foit commun avec la nature de ces
organes extérieurs ! la fenfàtion excitée dans notre ame
par la lumière ou par le fo n , reffemble-t-elle à cette
matière ténue qui femble propager la lumière, ou bien
à ce trémouffement que le fon produit dans l ’air ! ce font
nos yeux & nos oreilles qui ont avec ces matières toutes
les convenances néceffaires, parce que ces organes font
en effet de la même nature que cette matière elle-même ;
mais la fenfàtion que. nous éprouvons n’a rien de commun,
rien de fembiable ; cela feul ne fuffiroit-il pas pour
nous prouver que notre ame eft en effet d’une nature
differente de celle de la matière!
Nous fommes donc certains que la fenfàtion intérieure
eft tout-à-fait différente de ce. qui peut la caufer, &nous
voyons
voyons déjà que s’il exifte des chofes hors de nous, elles
font en elles-mêmes tout-à-fait différentes de ce que nous
les jugeons, puifque la fenfàtion ne reffemble en aucune
façon à ce qui peut la caufer ; dès - lors ne doit - on pas
conclurre que ce qui caufe nos fenfations, eft nécef-
fàirement & par fa nature toute autre chofe que ce que
nous croyons !, cette étendue que nous apercevons par
les yeux, cette impénétrabilité dont le toucher nous
donne une id é e , toutes ces qualités réunies qui confti-
tuent la matière, pourraient bien ne pas exifter, puifque
notre fenfàtion intérieure, & ce qu’elle nous repréfente
par l’étendue , l’impénétrabilité , &c. r i’eft nullement
étendu ni impénétrable, & n’a même rien de commun
avec ces qualités.
Si l ’on fait attention que notre ame eft fouvent pendant
le fommeil & l ’abfence des objets , affeélée de
fenfàtions, que ces fenfations font quelquefois fort différentes
de celles qu’elle a éprouvées par la préfence de ces
mêmes objets en faifant ufage des fens, ne viendra-t-on
pas à penfer que cette préfence des objets n’eft pas nécef-
fàire à l ’exiftence de ces fenfàtions, & que par conféquent
notre ame & nous, pouvons exifter tout feuls & indépendamment
de ces objets ! car dans le fommeil & après
la mort notre corps exifte, il a même tout le genre d’exif-
tence qu’il peut comporter , il eft le même qu’il étoit
auparavant, cependant l’ame ne s’aperçoit plus de l ’exif-
tence du corps, il a cefle d’être pour nous : or je demande
fi quelque chofe qui peut être, & enfuite n’être plus, fi
Tome 11. I i i