538 H i s t o i r e N a t u r e l l e
incommodes, & que notre manière , quoique généralement
imitée par tous ies peuples de l’Europe , eft en même
temps de toutes les manières de fe vêtir celle qui demande
le plus de temps, celle qui me paraît être le moins
affortie à la Nature,
Quoique les modes femblent n’avoir d’autre origine
que le caprice & là fantaifie, les caprices adoptez & les
fantaifies générales méritent d’être examinez : les hommes
ont toûjours fait & feront toûjours cas de tout ce qui peut
fixer les yeux des autres hommes & leur donner en même
temps des idées avantageufes de richeffes, de puif-
fance , de grandeur, &c. la valeur de ces pierres brillantes
qui de tout temps ont été regardées comme des orne-
mens précieux , n’eft fondée que fur leur rareté & fur leur
éclat éblouifTant il en eft de même de ces métaux éclatans,
dont le poids nous paraît fi léger lorfqu’il eft réparti fur tous
les plis de nos vêtemens pour en faire la parure : ces pierres
, ces métaux font moins des ornemens pour nous, que
des fignes pour les autres auxquels iis doivent nous remarquer
& reconnoître nos richeffes, nous tâchons de leur en
donner une plus grande idée en agrandiffant la furface de
ces métaux , nous voulons fixer leurs yeux ou plûtôt les
éblouir ; combien peu y en a-t-il en effet qui foient capables
de feparer la perfonne de fon vêtement, & de juger
fans mélange l’homme & le métal !
Tout ce qui eft rare & brillant fera donc toûjours de
m od e , tant que les hommes tireront plus davantage de
l’opulence que de la vertu, tant que les moyens de paraître
confidérab'Ieferont fi différens de ce qui mérite feul d’être
confidéré : l ’éclat extérieur dépend beaucoup de la manière
de fe vêtir , cette manière prend des formes différentes
, félon les différens points de vue fous lefquels nous
voulons être regardez ; l’homme modefte, ou qui veut le
paraître, veut en même temps marquer cette vertu par la
fimplicité de fon habillement, l’homme glorieux ne néglige
rien de ce qui peut étayer fon orgueil ou flatter fà vanité,on
lereconnoîtàlarichefl’eou àla recherche de fesajuftemens.
Un autre point de vue que les hommes ont aflèz généralement,
eft de rendre leur corps plus grand, plus étendu
: peu contens du-petit efpace dans lequel eft circonf-
crit notre ê tre , nous voulons tenir plus de place en ce
monde que la Nature ne peut nous en donner, nous cherchons
à agrandir notre figure par des chauffures élevées,
par des vêtemens renflez; quelque amples qu’ils puiffent
.être , la vanité qu’ils couvrent n’eft-elle pas encore plus
grande pourquoi la tête d’un doéfteur eft-elle environnée
d ’une quantité énorme de cheveuxempruntez, & que celle
■ d’un homme du bel air en eft fi légèrement garnie ! l ’un
-veut qu’on juge de l’étendue de fa fcience par la capacité
phyfique de cette tête dont il groflît le -volume apparent,
& l’autre ne cherche à le diminuer-quepour donnerl’idée
de la légèreté de fon efprit.
Il y a des modes dont l’origine eft plus raifonnable , ce
font celles où l’on a eu pour but de cacher des défauts &
de rendre laNature moins défagréable. A prendre les hommes
en général, il y a beaucoup plus défigurés défeélueufes
y y y f