fuite de fiècles, le regardèrent comme un oracle
infaillible, & ne firent que délayer ou abréger fes
ouvrages, même dans leur partie la plus foible,
celle, il faut l’avouer, qui a trait à l'anatomie.
Les Arabes, qui fous le règne des kalifes eurent
une domination lï étendue cultivèrent la plupart
dés fciençes avec fuccès, les Arabes, dis je ,
n'eurent pourtant d’autre fecours pour apprendre
l’anatomie j que ces ouvrages dénaturés par eux
■ dans des traductions infidèles. Ils furent forcés
de fe contenter des foibles lumières qu’ils y pou-
roient puifer. Qu’ auroient-ils pu faire de plus ?
La religion de Mahomet leur infpiroit de l’horreur
pour les cadavres.
Dans le courant du feptième fiècle, le farouche
Amr.ou, général des troupes’ du kalife Omar,»ordonna
que l’on employât pour chauffer les bains
publics & que l’on brûlât tous les livres de la
bibliothèque d’Alexandrie, le plus vafte dépôt
des cohnoiffimces humaines , déjà attaqué dès
l’an 390 par Théophile, ig'-orant patriarche de la
ville qui le renfermoit. C*eft ainfi que dans l’el-
pace de fixmois, on vit le réfultat des travaux
d’ un nombre prodigieux d’années , devenir la
proie des flammes.
Quand une fois le fanatifme & l’ ignorance eurent
ainfi mis. obilacle à la propagation des fcien-
ces , celles-ci firent des ptogrès beaucoup plus
prompts vers leur décadence , qu’elles n’en
avoientfait lors de leur élévation.
L’anatomie partagea le fort commun.
Jufqu’au treizième fiècle, jufqu’àla renaifTnce
des lettres en Europe, les médecins & les chirurgiens
né l’étudièrent en effet qiiê dans de mau-
vaifes verfions latines des traductions des Arabes.
Beaucoup plus de mille ans s’étoient donc déjà
écoulés depuis le moment où l’on avoit commence
à étudier l’anatomie j des*baibares» avqient
auteurs, Milan eut la gloire de donner naiffance.
C e livre, dont Jean Duçhêne ou Dryander a pu.
blié une édition in-40. en 1541 , ajouta peu
. pourtant aux idées de Galien, & ne fervit qu’à les
fondre avec celles des Arabes dans un langage
barbare, ou fypkuc fignifiepéritoine,* myrach, bus-
ventre , &c.
détruit lés villes de la Grèce &■ mutilé les chefs-
d'oeuvre de fes arts, en:. ne laiffant fubfifter que j
fes erreurs. Depuis quelque temps déjà même,-«
les lettres bvilloient d’ un nouvel éclat au fein de
la protectrice Italie, & l’anatomie cependant étoit
plongée dans l’ oubli le plus profond.
Mais un prince éclairé, fouverain d’une grande j
partie de ce beau pays, Frédéric I I , empereur j
d’Allemagne, ordonna, en 1238, que les médecins
& les chirurgiens n’exerçaffent leur, art qu’a-
près avoir étudié l’anatomie fur des cadavres humains.
Ce ne fut pourtant qu’en 13 r y , près de
100 ans, par conféquent, après la publication de j
cet édit mémorable, que Mundini de Luzzi diffé- ■
qua, au grand étonnement du monde entier, &
en public, dans l’amphithéâre de Bologne, deux
corps de femme. La réputation qu’ il s’acquit
comme anatomifte fut des plus grandes, & les
ftatuts dp l’Académie de Padoue„plus de 200 ans
après lui, faifoient encore aux candidats une loi
de fuivre le texte du livre publié par ce premier
profeffeur d’anatomie, auquel, fiiiyant quelques
A dater des recherches de ce Mundini de Luzzi,
qu’il ne faut point confondre avec Mondino de
F o r li, on fentit pourtant l’utilité de la fcience
dont il ouvrit la carrière, & , même durant Je
refte du quatorzième fiècle , il paroît que chaque
année on ouvrit un ou deux cadavres humains dans
quelques amphithéâtres. Le préjugé fuperftitieux
qui faifoit regarder ces cadavres comme des objets
facr'és & inviolables, s’ affoiblit par degrés ,
& l’on ne fe borna plus à la llérile nomenclature
des parties du corps , copiée mot à mot de Ga-
i. lien , ni à la diffe&ion des thiens 8c des cochons.
C ’ eft ainfi* qu.e Guy de Chauliac, qui écrivoit
en 136$, nous apprend que fon maître Nicolas
Bertruccio faifoit annuellement quatre leçons
fur un même cadavre5 la première étoit confacrée
à la démonftration des vifcères du ventrè, la
fecônde à celle des organes contenus dans le
thorax, la troifième à celle des parties molles de
la tê te , 8c la dernière à l’examen des membres.
Or, Bertruccio eft mort en 1542 j il profefToit
à Bologne ; 8c ce ne fut qu’en 1376 feulement que
les médecins de Montpellier obtinrent du duc
d'Anjou la permiflion de difféquer un cadavre
tous les ans, privilège qui leur fut continué par
le roi de Navarre, Charles-le-Mauvais, & par
fes fucceffeurs.
C ’eft ainfi qu’au milieu de tous les jongleurs qui
infeftoient alors le monde médical, 8c qui éten-
doient fur la raifon des voiles qui la faifoient dif-
paroître fous les ténèbres , comme on voit le fo-
i îeil être obfcurci par les nuages, quelques hommes
ont mérité d’être diftingués parl’ niftoire. Excepté
eux , dans le quatorzième fiècle, excepté, dans
le quinzième, Barthélemy Montagnana , qui ou-
1 vrit quatorze cadavres, Antonio Benivieni, Alef-
fandro Benedetti-, & J. deKetham, qui, en 1491,
eut le premier l’ idée de joindre des planches d’a- 1
natomie gravées à fes Fafcicules'de médecine, I
nous ne trouvons aucun anatomifte célèbre 8c:
tous ceux qui veulent écrire fur cette fcience îaif-
fent des ouvrages encroûtés de toutes; les ordures
de l’ignoraiice, 8c où les foibles germes de quelques
vérités naififantes paroiffent étouffés fous le
poids fatigant d’ une continuelle erreur.
C ’eft cependant en 1472, que fut fondée à
Paris l’Ecole de médecine, dont les profeffeurs j
obtinrent, en 1494s ta permiflion d’enfeigner publiquement
l’anatomie. On eft étonné de voir
une inftitution aufli libérale prendre déjà de la
confift^nce à une époque où le fanatifme faifoit ;
les plus grands, efforts pour, entraver une etude
aufli utile , à une époque où les prêtrq^ feuls pra-
tiquoient la médecine en fuivant aveuglément les
préceptes de Galien, où une excommunication
foudroyante .étoit lancée contre ceux-que leur
zèle pour la fcience portoit a violer la paix des cimetières.
'
.. Mais, avec le feizième fiècle, l’étude de 1 anatomie
commence à prendre une grande faveur
dans le monde favanr. Les efprits vivement frappés
de l’éclat de toutes les merveilles qui lui doivent
la naiffance , tentent, comme de concert,
des efforts inouis. Alors, en effet, on voit briller,
pour ainfi dire, à la fois une prodigieufe quantité
,4 e .lumières & de talens. Dans cet heureux fiècle,.
la fcience eft véritablement créée. Quen’aurois je
point à raconter fi je voulois feulement paffer en
revue-tous ceux qui fe diftinguèrent en fe livrant
à fon étude ? Il me faudroit rappelé? furtout lé
■ mérit^ diftingué de Gab. Zerbi & d’Al. Achillini,
qui commentèrent l’ouvrage de Mundini. Alors
.aufli, Nie. Maffa entrevit les vaifleaux lymphatiques,
8ç découvrit *a proftàte j Jac. Berengario,
de Carpi, put enfeigner à Bologne l’anatomie ,
pendant une fuite d’années affez confidérablepour
qu’ il lui ait été permis, de difféquer plus de cent
cadavres humains , & d’ ouvrir la voie à ceux qui,
bientôt après lu i , parvinrent à fe diftinguer par
d’innombrables découvertes. C ’eft à lui qu’ on doit
fen particulier la connoiffance de la fuperpofition
ides James de la cornée tranfparehte , & celle du
marteau & de l’enclume dans ta cavité du tympan.
Charles Eftienne , en France, diftingua le grand
fympathique du nerf pneumo-gaftriqüe & aperçut
fies valvules des veines du fôie\, tandis que Guita
Ùaume Rondelet, profeffeur, royal à l’Univerfité
de Montpellier , faifoit avancer la fcience par les
recherches & fes obfervations. La réputation dont
jouit encore aujourd’hui ce dernier, le venge bien
du ridicule dont Rabelais a cherché à le couvrit
fous le nom de Rondibilis.
r Pendant la première, moitié du fiècle, l’dtalie
[& notre belle patrie fèmbloient ainfi fe partager
: le domaine de l’anatomie. Si la première pouvoir
s s’enorgueillir de Barthélemy Eultachi, de Gabriel
Fallopio , de J.’ Philippe Ingraflia , qui tous font
fans ceffe rappelés .à la mémoire des gens de l’arc
par ta manière impériiïable dont leur nom fe trouve
[rattaché à certains organes de notre corps , ta fe-
feonde avoit le droit de s'honorer des talens de
|ce Jacques Dubois, d’Amiens, dit Sylvius, qui
[ découvrit l’art des injections ; qui fut profeffeur
à Paris ; qui acquit une telle célébrité que l’oiï
[ venoit de toutes les parties de l ’Europe pour en-
5 tendre fes leçons > qui vit vendre en un feuI jour
jufqu’à neuf cents exemplaires de fon livre, & fous
lequel fe forma le grand André Véfale , le prince
des anatomiftes, le fondateur de 1a méthode def-
criptive en anatomie, qui enfeigna avec éclat à
Padoue, & qui s’immortalifa en attaquant hardiment
les erreurs confacrées par l'autorité impo-
fante du nom de Galien.
C ’ eft à Véfale, auquel Philippe I I , roi d’Efpa-
gn e , qui l’avoit choifi pour fon médecin , étoit
fort attaché, que l’ on doit le plus beau monument
élevé à l’anatomie., fi toutefois on a égard
au temps où vivoit fon auteur. La publication d©
fon T ra ité , le premier traité méthodique fait fur
cette fcience, excita une admiration prefque générale
, échauffa le zèle des favans, opéra une
véritable révolution, & les diverfes découvertes
qu’il fit du veftibule , du labyrinthe -; du médiaf-
tin , de 1a valvule du pylo re, de plufieurs mufcles,
de la glande lacrymale , des valvules des veines ,
81 c . , ne purent qu’ ajouter encore à fa réputation
coloffale. On a peine à concevoir aujourd’ hui
qu’un efpace de quarante années feulement ait
fépaïé Véfale de Zerbi. Pourquoi faut-il, d'ailleurs,
qu’avec un mérite fi différent, un genre de
mort tragique établiffe un trifté rapprochement
entr’eux à la fin de leur carrière ! Z e rb i, pour-
fuivi par ta juftice i & obligé de fuir ,'fu t mis en
pièces par l’ancien domeftique d’un pacha turc
qu’il n’avoit pu réuflir à guérir ; V é fa le , voyageant
pour fe fouftraîre aux fureurs de la fombre
lnquifition, fit naufrage fur les côtes de l’ile de
Z ante, où il périt de faim en 1564. Il étoit né
à Bruxelles, & avoit étudié à Louvain & à Paris.
L’ouvrage de Véfale , qui mérite encore d’être
diftingué par les belles planches dont f ont enrichi
le Titien & Jean de Càlcar, enfanta , dans ta dernière
moitié du feizième fiècle, une telle foule d,’a-
natomiftes marquans, qu’ il deviendroit difficile de
les fignaler tous à ta reconnoiffance de la pofté-
rité, dans une efquiffe aufli rapide que celle que
nous^raçons en ce moment.
Cependant nous ne faurions fans injuftice oublier
de parler de ce Miguel Servet, de Villa
Nuôva , en t fpagne, brûlé par le fanatifme des
proteftans, après avoir échappé aux bûchers des
inquifitêurS.'lf découvrit ta circulation pulmonaire
en i f y2, année où l’on établit à Pife un amphithéâtre
de difîeéfion , établiffement qui précéda
de quatre ans l’ ouverture de celui de Montpellier.
Il nous faut rappeler également, quelque rapide
que foit notre énumération, les titres à la
gloire de J. B. Cannani, qui trouva les valvules
de la veine azygos, & qui fut profeffeur à Fer-
rare j de Réald Colombo, de Crémone , qui fuc-
céda à Véfale dans la chaire de Padone 5 de Julio
Gæfare Aranzi, qui découvrit le mufcle rele-
veur de la paupière fupérieure & décrivit les
vaîffeaux de l’ utérus 5 d’André Céfalpir.i, d’Arez-
zo , qui entrevit ta grande circulation en 1 y71 ;
de Louis Collado, profeffeur à Valence, qui s’attribua
la découverte de l’ étrier prefqu’au même
moment où Ingraflia, Euftachi & Colombo la faifoient
chacun de leur -ccfté & , pour ainfi dire fi-
multanément ; de Confiant V a ro li, profeffeur à
Bologne §£ médecin du Pape# qui étudia d’urtt